Avant-critique Roman

Isabel Alba, "La fenêtre" (Éditions La Contre Allée)

Isabel Alba - Photo © Nagua Alba

Isabel Alba, "La fenêtre" (Éditions La Contre Allée)

Rentrée littéraire

L'autrice espagnole Isabel Alba dessine le beau portrait d'une femme en deuil recluse derrière sa fenêtre pendant les confinements imposés par le Covid.

Parution 15 janvier

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Par Marie Fouquet
Créé le 19.12.2024 à 12h00

Reprendre sa respiration. Récit sur le confinement et le deuil, La fenêtre revient sur cette période si particulière où la population du monde entier fut obligée de rester chez elle pour éviter de contracter et de propager le coronavirus qui fit près de sept millions de morts entre 2020 et 2023. Troisième livre traduit à La Contre Allée de l'écrivaine et photographe espagnole Isabel Alba, ce roman sensible et angoissé met en scène une narratrice terrorisée par la pandémie et en état de choc à la suite du décès de sa sœur, morte du Covid. « C'est un rêve [...]. Ce n'est pas réel. C'est un rêve », se persuade la narratrice au réveil d'un cauchemar où elle se retrouvait enfermée dans une pièce à la fenêtre condamnée. « Il n'y a pas d'air. L'air ne va pas circuler. »

Isabel Alba décrit comment la protagoniste n'a plus vraiment conscience du temps qui passe, ne lit plus le monde selon les mêmes critères qu'auparavant. Or, si le temps n'est plus le repère de base de cette femme, l'espace devient une véritable obsession, tout comme les fenêtres ouvertes et le port du masque, pour elle mais aussi pour les autres. « L'espace dont peut disposer chaque personne est proportionnel au pouvoir qu'elle détient. Le masque est un indicateur de l'espace dont dispose chaque personne. Donc le masque est un indicateur de son pouvoir. »

Il faut dire que, depuis quelques jours, sa voisine lui rend la vie impossible. Elle refuse de laisser circuler l'air et d'ouvrir ses fenêtres, elle refuse d'éviter de la croiser dans les couloirs lorsqu'elles s'apprêtent à sortir ou s'y trouvent en même temps. Elle refuse, en somme, les règles établies du vivre-ensemble en temps de pandémie. La narratrice est plongée dans une angoisse qui la conduit à développer des TOC. Elle ne veut plus aller à l'extérieur, regarde le monde du dehors par la fenêtre pendant des heures, pense aux personnes qui ne sont jamais ressorties et se voit obligée de prendre un traitement. « L'Orfidal avait acquis à ses yeux les pouvoirs d'une potion magique. Une pilule capable de dissiper la peur. Si ce n'était pas la pilule du bonheur, c'était au moins celle du détachement. »

Dans ce texte achevé en mai 2021, Isabel Alba dresse une fine analyse des conséquences dramatiques qu'a eues cet épisode de l'histoire sur certaines psychologies. La souffrance et l'isolement que cause la peur, la tristesse de la perte, l'exposition et la confrontation permanente et immédiate à la mort qu'a instituées le Covid sont ici traduits dans un langage de la suffocation, à travers une voix qui cherche à sortir de l'anxiété pour enfin respirer et conjurer le fatum par la désobéissance aux règles. Ici, outrepasser ces dernières est synonyme d'outrepasser la détresse, l'épouvante, la douleur. La désobéissance « n'est-elle pas licite lorsqu'il s'agit de faire une bonne action ? »

Isabel Alba
La fenêtre
La Contre Allée
Traduit de l’espagnol par Michelle Ortuno
Tirage: 2 500 ex.
Prix: 19 € ; 144 p.
ISBN: 9782376651611

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