Avant-critique Poésie

L'écrin du chagrin. « Je fais partie de celles / qui ne tombent pas », de celles qui déploient leurs ailes goudronnées pour aller vers la vénusté de la vie. En deux disques (Le monde s'est dédoublé et Oceano Nox), Clara Ysé s'est imposée comme autrice-compositrice-interprète. Un art qu'elle a dans la peau depuis qu'elle a eu un violon entre les mains à 4 ans. C'est sa mère, la philosophe et psychanalyste Anne Dufourmantelle, qui lui offre sa première guitare. Et c'est avec le chant lyrique que Clara apprend à aiguiser ses cordes vocales. Après un master de philosophie à la Sorbonne et des cours au Conservatoire, Clara se sent attirée par l'art de la scène. Soudain, « Les ponts fragiles / qui m'attachent au monde / ont cédé », lorsque sa mère se noie en portant secours à des enfants. « Je suis passée de l'autre côté du miroir », celui du deuil impossible, capable de causer un chagrin tantôt étouffé, tantôt assumé. Afin de ne pas sombrer, Clara Ysé s'exprime à travers ses chansons. « Tu cherches dans le jour qui s'efface / Une lumière qui se donne et ne demande rien / Comme la musique qui sort des mondes éraflés / Celle qui murmure courage à ceux qui cherchent. » Cette quête se prolonge dans son premier roman, Mise à feu (Grasset, 2021), prix littéraire de la Vocation. Il y a indéniablement quelque chose d'organique dans sa voix et son impressionnante écriture. Celle-ci prend encore une autre forme dans ce premier recueil de poésie, Vivante. Un titre symbolique pour cette trentenaire qui sublime sa prose. « L'enfant écrit en silence / Il voudrait dire que cette paix-là est entrée dans son âme / et y a élu domicile. » Sa plume vibrante « plonge sa langue dans l'invisible » et l'indicible... « Ramasse les mots perdus les mots oubliés / Les mots qu'aurait dits ta mère / Écoute-les en toi ils prennent refuge. » Loin de repousser ses peines, Clara leur donne de l'éclat en abordant les ruptures avec les autres, les rêves ou soi-même. Comment, dès lors, « Devenir tristesse sans mourir de tristesse / Devenir tristesse et sortir vivante de la tristesse / Devenir tristesse et avenir à la fois / Devenir tristesse et tendresse et joie à la fois » ? Son encrier pudique et musical claque sans nous épargner. Qu'elle nous berce, nous blesse ou nous caresse, Clara Ysé nous emplit de mélancolie et de poésie. Les fantômes de l'enfance la hantent, elle tente de tenir debout en dépit des griffures de la vie. Cette traversée reflète « le désir obstiné / De vivre dans un monde où le courage / Est une façon d'honorer l'existence ». Ce n'est guère évident au jour le jour. Si l'espoir semble parfois éteint, il s'allume à nouveau grâce à la puissance de l'amitié ou de l'amour : « Amour / Je tends mes mains / Et le ciel s'ouvre comme un nénufar. » La renaissance n'est pas linéaire, mais possible. « Si tu es patient / Alors, un jour, tu le vois apparaître, Le Phénix. » Aujourd'hui, Clara Ysé se sent clairement « [...] vivante / Plus libre que la veille ». Face à la violence ambiante, elle recommande merveilleusement : « Fuis le monde / Prends les lucioles dans ta poche. » Un choc, et un charme qui nous désarme.

Clara Ysé
Vivante
Seghers
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 17 € ; 280 p.
ISBN: 9782232147593

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