Avant-critique Roman

Fils et frère d'architectes bordelais, le jeune Romain, 22 ans, se considère comme le vilain petit canard de sa très bourgeoise famille. Histoire de la provoquer, il a choisi l'enseignement, prof de français. Tout frais émoulu de son institut de formation (l'ESPE), où l'on apprend apparemment beaucoup plus à théoriser sur la pédagogie que concrètement son métier, il a opté pour l'académie de Guyane, certain que personne ne lui disputerait le bagne de Cayenne ! Hélas, c'était compter sans le tout-puissant algorithme, maître des affectations : Romain se retrouve donc au collège Blaise-Pascal de Chaudezat, Puy-de-Dôme, un établissement pépère dans un bourg bien tranquille. Trop, pour notre ami, qui va se mettre en tête d'expérimenter auprès de ses classes de quatrième et cinquième tout ce qu'on lui a inculqué. Au début, la directrice, Angela Combes, pourtant apôtre de Jules Ferry et héritière des hussards noirs de la République, laisse faire. Embarquant dans ses chimères Fabien, le prof d'EPS, par ailleurs agrégé de sport, dit « l'Adonis du Béarn », il va provoquer quelques catastrophes au nom de la transdisciplinarité et des classes en pleine nature. Combes va vite tancer nos modernes Bouvard et Pécuchet, jusqu'à ce que Romain ait une autre idée, de génie celle-là : Chaudezat étant vaguement jumelé avec un village de Roumanie, Budești dans le Maramureș, il va organiser un voyage scolaire là-bas, d'autant qu'une de ses élèves, Jeanne, est d'origine roumaine. Elle se veut surtout auvergnate, et sa famille, parfaitement intégrée, voit d'un mauvais œil cette remise en avant de ses racines. Romain, aveuglé par l'idéologie woke, n'en est pas à une gaffe près. Mais cette fois, grâce à la complicité du grand quotidien régional La Montagne, au soutien de sa hiérarchie et à des subventions diverses, l'entreprise réussit. Les gamins ont été épatants, l'expérience profitable, et des liens tissés. On se reverra. Le bleu d'Auvergne, lui, est devenu une espèce de héros : il a même droit à son portrait dans La Montagne, à défaut du Journal de Guyane. En revanche, fini Cayenne : il va demeurer à Chaudezat, prof de français épanoui et heureux.

À sa façon habituelle, Clément Bénech, guère plus âgé que son héros, moque gentiment les travers et les tics de notre époque. L'écriture est alerte, l'humour et la tendresse dominent. Quant à l'Auvergne, elle est en majesté, heureux résultat d'un atelier d'écriture à l'université de Clermont-Ferrand.

Clément Bénech
Un vrai dépaysement
Flammarion
Tirage: 5 000 ex.
Prix: 19 € ; 288 p.
ISBN: 9782080277336

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