Depuis les travaux d'Olivier Grenouilleau sur les Traites négrières (Gallimard, 2004), les études sur l'esclavage ont connu un essor en France. On attendait donc la nouvelle recherche de cet historien sur un sujet particulièrement délicat et essentiel : Christianisme et esclavage. La question posée est simple : pourquoi, pendant des siècles, cette religion humaniste s'est-elle accommodée d'une pratique qui heurtait l'esprit des Évangiles ? Olivier Grenouilleau (Sciences Po Paris) fouille les textes à la recherche d'une explication. Il interroge aussi les théologiens catholiques et protestants. On voit bien ici toute la complexité d'un thème qui n'a cessé de bouleverser les esprits. Pour autant, malgré des appels à en finir avec une pratique insupportable - les chrétiens ayant souvent manifesté leur volonté abolitionniste -, il ne s'est rien passé rien durant des siècles.

Le travail d'Olivier Grenouilleau est comme toujours impeccable et il aborde le problème sous toutes ses coutures. En le sortant des explications manichéennes et des exploitations politiques, on passe de l'esclavage aux esclavages. C'est bien ce que traduit ce collectif mené par Paulin Ismard (Université Aix-Marseille) en faisant le pari d'une histoire comparée, globale et contextualisée. « Le passé esclavagiste n'est pas une autre histoire, et ce n'est pas une histoire des autres. » Ce collectif, dans sa diversité plurielle, s'affranchit des approches linéaires. Les expériences de la servitude sont certes multiples au cours des âges, mais elles sont reliées entre elles car elles parlent de la même chose. En prenant « le monde pour échelle », une forme universelle apparaît avec l'idée du droit de propriété du maître sur l'esclave et les relations qu'elles entraînent. D'où l'importance des juristes dans cette cinquantaine de spécialistes, aux côtés des historiens et anthropologues qui examinent l'esclavage de la préhistoire au monde contemporain.

La diversité du phénomène apparaît d'emblée dans la longue durée avec les traites à destination des Amériques, des Antilles françaises et britanniques ou du monde arabo-musulman comme à Istanbul au XVI^e siècle. Cette approche globale permet d'évoquer l'Égypte mamelouke, la Russie de Pierre le Grand, la Chine des Ming, l'Amazonie des Yuqui tout comme l'Alsace du IX^e siècle. Paulin Ismard, Benedetta Rossi et Cécile Vidal ont adopté le comparatisme comme méthode. Les mondes de l'esclavage réintègrent cette tyrannie dans une histoire commune, « une histoire du monde à la lumière de l'esclavage ». La justification et la force d'un tel ouvrage se manifestent dans sa volonté de dépasser la repentance, qui n'apporte rien scientifiquement, au profit de la compréhension d'un fait majeur toujours présent dans nos sociétés. On peut en dire de même du travail d'Olivier Grenouilleau. En cela, pour ces deux livres, il s'agit bien aussi d'un acte politique, dans le sens où il invite la société à ne pas ressasser le passé mais à le dépasser, à porter un regard neuf sur une pratique ancienne pour contribuer à l'éradiquer.