« Dis-moi ce que tu manges, je te dirai qui tu es », c'est un peu le leitmotiv de l'auteure de Frank et Billy (Autrement, 1999). Dans Cookies pour jours de pluie Laurie Colwin se livre en recettes et sous forme de réflexions gastro-existentielles et souvenirs liés aux fourneaux. Elle signe ici une véritable autobiographie culinaire. Regarder le monde au tamis de nos facultés gustatives n'est certes pas neuf en littérature. De Gargantua à Kitchen de Banana Yoshimoto en passant par Le festin de Babette de Karen Blixen, la table offre un poste d'observation des plus riche pour l'écrivain. C'est le lieu de la famille, de la conversation et des débats entre amis, des dîners qui respirent la joie de la convivialité ou l'ennui de la convention, des coups de griffe entre deux coups de fourchette, des insinuations salées ou des regards gourmands.

Pour Laurie Colwin qui n'a écrit que des histoires de femmes, de maris, et/ou d'amants, bref d'« amour et autres tracas », les nourritures terrestres sont les seuls compagnons sur lesquels on puisse compter dans la vie, surtout lorsqu'on vit seul dans un appartement « à peine plus grand que l'Encyclopédie Columbia ». Que peut-on bien cuisiner lorsqu'on n'a pas de cuisine ? L'aubergine, pardi ! En friture ou en ragoût, chaude ou froide, elle est « le meilleur ami de la cuisine aux brûleurs ». Mariée et super-équipée avec « une gazinière à quatre feux et un vrai frigo », l'écrivaine new-yorkaise, lorsque son mari est retenu par une réunion et que leur fillette dort, rejoint sa copine des jours sans mari ni enfant, et la concocte avec une gousse d'ail dans sa vieille casserole sans poignée.

Il y a dans la concentration propre à la cuisine, le même besoin de quant-à-soi nécessaire à l'écriture - double mouvement de retrait dans l'intime puis de retour vers le monde. Plat et livre, même combat : c'était au départ pour moi mais cela n'a de sens que si l'œuvre est partagée. Outre ses recettes de cookies ou de poulet frit, Laurie Colwin partage des conseils pour les tête-à-tête : la passion ne garantit pas le succès d'un mets. Poisson farci pour un homme qu'elle veut séduire ? « En fait, je devais être folle. Je n'avais aucune recette pour me guider, mais est-ce que l'amour a besoin d'une recette ? Est-ce que l'inspiration a besoin d'instructions ? » L'amour n'a pas de grammaire mais la bonne chère qui n'est pas triste doit quand même lire des livres de cuisine.