Entretien

Comment la Scop Les Volcans est devenue une librairie modèle

Martine Lebeau - Photo Olivier Rolfe

Comment la Scop Les Volcans est devenue une librairie modèle

Gérante de la grande librairie de Clermont-Ferrand, Martine Lebeau souligne la dynamique commerciale et sociale créée par la décision des salariés de la reprendre, il y a cinq ans, sous la forme d'une société coopérative et participative.

Par Clarisse Normand
Créé le 21.02.2020 à 18h09 ,
Mis à jour le 04.02.2022 à 14h25

Livres Hebdo : Sur le point de disparaître en 2014 avec sa maison mère, Chapitre, en liquidation judiciaire, la librairie Les Volcans a retrouvé son dynamisme sous la forme d'une société coopérative constituée par ses salariés. Comment expliquez-vous ce retournement ?

Martine Lebeau :Notre librairie n'avait pas de raison d'être liquidée. Si nous avons connu des difficultés, c'est parce que nous ne fonctionnions plus comme une librairie et que nous devions supporter les frais de structure de notre groupe et les soi-disant services mis en place, comme la plateforme logistique. Non seulement celle-ci entraînait un surcoût de 50 centimes d'euros pour chaque livre traité, quel que soit son format, mais elle allongeait nos délais de livraisons. En retrouvant notre indépendance nous avons retrouvé un fonctionnement normal de librairie. Et avec le soutien de nos fournisseurs, de la ville et de nos clients, la librairie est repartie comme une fusée.

La source média référencée est manquante et doit être réintégrée.

Votre librairie est l'une des premières à avoir adopté, il y a cinq ans, un statut de Société coopérative et participative (Scop). Quel bilan en tirez-vous ?

M. L. : La formule Scop s'est imposée à nous. L'Union régionale des Scop est la seule structure qui acceptait de nous écouter et de nous accompagner dans notre projet. C'est a posteriori que nous avons, en plus, pris conscience des avantages propres à ce statut. En interne, il a amené certains salariés à s'impliquer, à prendre des responsabilités et à révéler des qualités insoupçonnées. À l'extérieur, la formule coopérative et les valeurs qu'elle porte ont fortement augmenté notre capital sympathie auprès des Clermontois. On est devenu un modèle.

Où en êtes-vous sur le plan économique ?

M. L. :Depuis la reprise, nous avons redynamisé l'activité, renoué avec les bénéfices et nous avons même repris une librairie, Horizons, à Riom. Au terme de l'exercice qui sera clos le 31 mars, notre chiffre d'affaires devrait dépasser 7 millions d'euros dont 6,7 millions pour Les Volcans. En 2014, ce chiffre était tombé à 5,7 millions sachant qu'avant la reprise par Bertelsmann et l'épisode Chapitre, il atteignait 12 millions. Dans le cadre de notre redressement, nous avons aussi recruté. Le nombre de salariés est passé de 33 à 45, dont trois personnes à Riom.

Quelle a été la principale difficulté et comment l'avez-vous surmontée ?

M. L. : Notre projet a suscité beaucoup de scepticisme au départ. Mais notre envie d'y aller et notre enthousiasme ont fini par convaincre. Le plus compliqué a été de faire vivre notre petit groupe de sociétaires sans explosion. Lorsque nous avons commencé à réfléchir au projet, nous étions treize. Faute d'avoir trouvé sa place dans le groupe, l'un d'entre nous s'est retiré. Nous nous sommes donc engagés à douze, sachant que la plupart travaillaient aux Volcans depuis au moins 15 voire 20 ans. Inutile de vous dire qu'il y avait parfois des contentieux entre certaines personnes. Pour que ça marche, il a fallu régler nos casseroles. Pour y parvenir, nous nous sommes fait aider par un coach qui a joué un rôle de médiateur. Aujourd'hui, force est de constater que nous sommes encore tous là. Nous avons même intégré de nouveaux sociétaires en ouvrant le capital aux nouveaux salariés. Désormais nous sommes 22 sociétaires salariés.

Comment devient-on sociétaire de votre Scop ?

M. L. :Tout salarié ayant un an d'ancienneté se voit proposer d'entrer au capital. S'il devient sociétaire, il est censé monter au capital à hauteur minimum de 7 500 euros. Cela peut paraître beaucoup au vu des salaires de la profession, mais cette contribution peut se faire progressivement. Surtout, nous avons opté pour un système de versement reposant sur les revenus exceptionnels. Tant que le seuil de 7 500 euros n'est pas atteint, l'argent que le salarié devrait recevoir au titre de son intéressement annuel est automatiquement remonté au capital. Résultat nous avons un capital social de 487 000 euros et nous sommes crédibles face à nos partenaires, notamment bancaires.

En quoi la Scop a-t-elle modifié votre façon de travailler au quotidien ?

M. L. : Elle a favorisé l'autonomie des salariés. Tous les vendeurs sont responsables d'un rayon et le gèrent pleinement. Ils reçoivent les représentants, choisissent les livres, définissent les quantités, font les présentations en rayon et en vitrine, effectuent les retours... Le tout sans objectif chiffré et sans budget préétabli. Je me contente de vérifier qu'il n'y a pas d'aberration. Sachant que, dans une Scop, on se préoccupe davantage de l'humain, on a aussi instauré une alternance entre les semaines de 38 heures et de 32 heures. Une semaine sur deux, chaque salarié a trois jours de repos.

Comment, dans une telle structure, parvient-on à prendre des décisions ?

M. L. : Une fois par mois les sociétaires se réunissent pour faire le point sur les chiffres, aborder certains problèmes et parler des sujets de fond. Les décisions à prendre sur des points importants sont alors votées et prises à la majorité. C'est démocratique. Chaque sociétaire représente une voix, quel que soit son niveau de participation au capital. En revanche pour gérer le quotidien, il y a une personne élue qui joue le rôle du patron. En l'occurrence c'est moi. J'ai été élue pour un premier mandat de quatre ans et, en 2018, j'ai été réélue jusqu'en 2022.

Quels conseils donneriez-vous à des personnes qui veulent créer ou reprendre une librairie en Scop ?

M. L. : Il faut s'assurer que tous les sociétaires ont la même vision de l'entreprise et de là où elle doit aller. Le nerf de la guerre c'est la communication. Mais un des écueils est de vouloir être trop collectif dans les décisions. On risque alors l'immobilisme. Au sein de la Scop-TI, qui opère dans le secteur des thés, les sociétaires voulaient tellement tout décider ensemble qu'ils ont mis neuf mois à se mettre d'accord sur les salaires ! À un moment, il faut accepter de confier les clés à une personne et lui faire confiance.

Quels sont vos projets de développement ?

M. L. :Nous avons atteint un rythme de croisière. Mais nous peaufinons notre magasin clermontois, qui occupe 2 200 m2 dont 1 800 m2 de surface commerciale. L'an dernier nous avons récupéré un espace extérieur de 30 m2 qui accueille aujourd'hui les caisses. Cette année, nous allons regagner 55 m2 pour les dédier à la jeunesse et aux jeux-jouets. Dans le même temps nous allons agrandir le patio où se déroulent nos animations grâce au déménagement de la papeterie au premier étage. Enfin nous réfléchissons à l'ajout d'une option marchande sur notre site internet : certains de nos clients sont âgés et ont des difficultés à se déplacer.

A titre personnel, quel bilan tirez-vous de votre expérience de gérante ?

M. L. :Je ne m'imaginais pas endosser un jour ce costume. Mais en 2014, les candidats ne se bousculaient pas. Malgré les mises en garde, nous avons débuté avec une cogérance. C'était plus rassurant, mais le binôme n'a pas fonctionné. Cette année de cogérance m'a néanmoins permis de me préparer à assurer seule cette fonction. Cela n'a pas toujours été facile, les problèmes, en particulier de RH, ont parfois été pesants et continuent à l'être, mais c'est une expérience d'une richesse incroyable. J'ai tellement appris.

Quel est l'enjeu des prochaines années ?

M. L. : La transmission. Depuis la reprise, je gère l'entreprise comme je gère ma maison, avec une pression supplémentaire car cette entreprise n'est pas à moi et il faut que je la transmette. Si tout se passe comme prévu, je serai la prochaine à partir, en 2022. Cela veut dire qu'il faut trouver des personnes prêtes à prendre la relève d'ici trois ans. Place aux jeunes !

21.02 2020

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