Innovants sur les pratiques, défricheurs sur les thématiques, engagés pour une chaîne du livre plus vertueuse, les éditeurs indépendants insufflent en permanence de l'oxygène au secteur.
Rien de surprenant, selon Albert de Pétigny, cofondateur en 2002 de la maison d'édition jeunesse Pourpenser : « Quand vous êtes dans le confort, que tout roule, vous n'avez pas à vous poser de questions. Les nouveautés viennent forcément des personnes et structures en marge, qui doivent en quelque sorte hacker le système », assure l'éditeur, venu du monde de l'informatique. Tel un laboratoire de l'édition, les indépendants expérimentent dans un esprit créatif et militant ce qui se fera demain dans les grands groupes.
Premiers sur les niches
En 1974, c'est pour nourrir sa passion pour l'ésotérisme que Guy Trédaniel lance sa maison d'édition avec Histoire de la magie, de l'ecclésiastique Eliphas Levi, dans un segment encore balbutiant en France. Au début des années 1990, les Humanoïdes associés et surtout Glénat amènent le manga en France, avec Akira ou Dragon Ball Z. Aujourd'hui disparues, les éditions Tierce, fondées par Françoise Pasquier, hébergent dès 1977 les textes fondateurs du féminisme français, aux côtés des éditions des Femmes, d'Antoinette Fouque, toujours indépendantes... Moins soumis aux logiques de marché, les indépendants se sont toujours risqués à aller chercher dans les niches éditoriales, avant qu'elles ne deviennent des phénomènes de société, tels que l'écologie aujourd'hui. « Il y a un côté rageant pour les petits éditeurs à voir les auteurs découverts il y a 10 ou 15 ans migrer dans les collections "Anthropocène" du Seuil, ou "Domaine du possible" d'Actes Sud, relève Baptiste Lanaspeze, fondateur des éditions Wildproject en 2008. Et en même temps, cela met en avant ces thématiques qui se vendent mieux chez nous. »
À l'écoute des minorités
Pratique bien implantée aux États-Unis, le sensitivity reading, soit le fait de faire relire des textes évoquant les problématiques d'une minorité par une personne issue de cette minorité, n'a pas encore beaucoup d'adeptes dans l'édition. Quelques petites structures font pourtant appel à ces nouveaux professionnels du livre, engagés pour une plus grande diversité dans les textes et convaincues d'éviter ainsi les stéréotypes. C'est le cas de la micro-maison Monstrograph, de Coline Pierrée et Martin Page, qui a décidé de « payer ce service à chaque fois qu'un auteur en fait la demande », ou de Nouriturfu, qui a fait relire Voracisme : trois siècles de suprématie blanche dans l'assiette, de Nicolas Kayser-Bril, avant sa publication.
Attentifs à la planète
C'est entre autres parce qu'elle en avait marre « de voir des livres appelant à sauver la planète et imprimés en Asie » que Marion Carvalho, cofondatrice en 2019 de La maison des pas perdus, a lancé la librairie en ligne Livr&co, qui recense uniquement des éditeurs écoresponsables. Cette « Amap du livre », comme le définit l'éditrice, présente pour l'instant les ouvrages d'une vingtaine d'éditeurs indépendants, qui mettent l'accent sur la traçabilité côté papier et font fabriquer en France. Commandés sur Livr&co, les titres bénéficient d'une livraison en camionnette électrique, avant un passage à la livraison vélo prochainement.
Engagés pour la librairie
Divergences, La Tempête, Nada, La Dispute, Rue des cascades... À l'initiative du diffuseur indépendant Hobo, cinquante éditeurs ont annoncé via une tribune en novembre qu'ils ne vendraient plus leurs livres sur Amazon, pour protester contre un modèle à l'opposé de leurs valeurs. Un engagement fort, forcément apprécié par le monde de la librairie indépendante.
Mobilisés pour leurs auteurs
En lançant en novembre sa maison, Exemplaire, à mi-chemin entre édition et auto-édition, la dessinatrice Lisa Mandel avait à cœur d'aller vers une meilleure rémunération des auteurs. Dans cette nouvelle structure alternative, les auteurs recevront en moyenne 40 % de droits d'auteur, soit 4 à 5 fois plus que d'ordinaire, en contrepartie de quoi ils devront gérer eux-mêmes quelques activités annexes, comme la promotion ou la gestion des stocks. Comme elle, plusieurs éditeurs se tournent vers d'autres modes de rémunération, plus avantageux pour les auteurs. Ainsi de Pourpenser, ou de l'éditeur de BD Boule de neige, qui calculent leurs droits sur le nombre d'exemplaires imprimés, et non vendus. « Cela nous oblige à tout mettre en œuvre pour vendre nos livres, en assurant un revenu plus juste à l'auteur », revendique Albert de Pétigny.