Au Moyen Age, les ouvrages qui avaient trait aux animaux étaient souvent enluminés. Aujourd'hui, ce qui se rapprocherait le plus de ces manuscrits précieux serait un beau livre qui reproduit cette splendide enluminure. Début octobre, il en paraît deux : chez Citadelles & Mazenod, Le bestiaire médiéval : l'animal dans les manuscrits enluminés, signé Christian Heck et Rémy Cordonnier, et au Seuil Bestiaires du Moyen âge de Michel Pastoureau.
Le premier, plus classique dans son approche, rappelle dans ses chapitres liminaires que le Moyen Age a beau être une époque tout empreinte de pensée symbolique, cette manière de voir ne formate pas la représentation de l'animal. Christian Heck, ancien conservateur du musée d'Unterlinden de Colmar, parle de "regard passionné et changeant" et souligne combien "l'inventivité, la poésie, le souffle de la création sont plus forts que la rigidité des théories et des dogmes". Si la distinction entre l'être humain, doté de la parole, et les créatures sans intelligence est établie depuis l'Antiquité, la césure n'est pas si nette, les théories divergent et il n'est pas rare que le christianisme étende son amour aux plus humbles représentants de la Création. Saint François d'Assise fait son sermon aux oiseaux, saint Antoine de Padoue aux poissons... Dans la vie quotidienne, l'animal est un compagnon : domestique (le cheval, le coq, le cochon) ou habitant des forêts (le cerf, le sanglier, l'ours), il est associé aussi bien à l'activité du paysan qu'au passe-temps du noble. Même exotique (lion) ou fabuleux (licorne), l'animal est présent. Blasons, ornements architecturaux... partout il s'immisce. L'image illustre (traités de vénerie), elle est également prétexte à discours : le Bestiaire d'amour de Richard de Fournival (milieu du XIIIe siècle) utilise les propriétés propres à chaque animal afin de corroborer sa vision de la quête amoureuse. La seconde partie du Bestiaire médiéval offre sous la plume de l'exégète de l'image médiévale Rémy Cordonnier un répertoire de cent animaux selon l'ordre alphabétique latin : d'anas ("canard") à vultur ("vautour") en passant par le cannelier, oiseau amateur de l'arbre à l'odorante épice, ou le parandre, espèce de renne scythe.
Michel Pastoureau, dans son Bestiaires du Moyen Age, insiste d'emblée, par le pluriel du titre, sur la polysémie de chaque animal. L'ours est ce plantigrade velu et lubrique qui s'accouple face à face, à la façon des humains, mais aussi l'image même de l'amour divin : sa femelle lèche ses nouveau-nés à demi morts pour les ramener à la vie. Quadrupèdes domestiques, quadrupèdes sauvages, oiseaux, serpents et vers... les nomenclatures de Pastoureau ont l'avantage de la pédagogie, la taxonomie des sciences naturelles actuelles n'étant en l'espèce guère pertinente. Est incluse dans cette classification la zoologie fantastique. Nulle contradiction avec le réel pour autant. Au Moyen Age, "l'imaginaire est une réalité".