Dans une autre vie, Constance Debré était avocate, épouse et mère. Elle avait suivi la voie tracée par un nom, un milieu social, une famille composée de ministres, députés, diplomates, académiciens, professeurs de médecine, peintres célèbres, membres du Jockey Club - entre autres. Comme sa vie rangée lui semblait un mensonge, elle s'est débarrassée de « presque tout », de son métier, de son mariage et des étiquettes qui lui collaient à la peau, comme on ôte un à un des vêtements. « Ça se refuse un héritage », écrit-elle dès les premières pages de son livre. « Il faut en finir avec l'origine, je ne garde pas les cadavres. »
Nom s'ouvre sur la mort de son père, celui par lequel ce fameux nom lui a été légué. Un père qui, jeune homme, avait eu sa chambre à Matignon, puis épousé un mannequin avant de devenir malgré tout le vilain petit canard du clan, ravagé par la drogue, par l'échec et par les huissiers sonnant à la porte des appartements aux loyers impayés. De son enfance chaotique, Constance Debré retient qu'un nom ne suffit pas. À seize ans, elle perd sa mère, sublime aristocrate rongée par la folie et les addictions, dont elle hérite du mépris pour les valeurs bourgeoises. « Ma mère est une provocation, par sa beauté, par son milieu, par sa classe. Elle ne dit rien, elle est polie, mais ça transpire par tous ses pores qu'elle les méprise. Qu'à tout prendre dans cette maison c'est les domestiques qu'elle préfère. »
La vie lamentable
Si ses parents se sont détruits, l'écrivaine, elle, déconstruit, exige une cohérence entre ses idéaux et sa manière de vivre. Son manifeste s'écrit à l'encre, dans ses livres et sur sa peau : « J'aurais pu être comme eux, j'aurais pu accepter. Plutôt crever, P.l.u.t.ô.t. C.r.e.v.e.r comme j'ai fait tatouer sur mon cou, C. n'aime pas mais moi ça m'aide à rester cadrée. » À la lire, on pourrait la penser nihiliste ou je-m'en-foutiste, mais ce qui ressort de son texte, et ce qui ressortait déjà de Play boy (Stock, 2018) et Love Me Tender (Flammarion, 2020), c'est une méthode lui permettant d'être au plus près du réel, d'un réel parfait puisque lui ne ment pas, contrairement à tous ceux « qui cachent leurs peurs derrière leurs mariages, leur nombre d'enfants bien comme il faut, et leur carrière aussi, (...) tout ce qui ne ressemble à rien de vrai. »
Au diapason de cette approche pragmatique, le style se dépouille pour laisser l'essentiel pulser, les chapitres défilent et nous laissent le souffle coupé. Partant de son expérience, de son être et de son corps, Constance Debré nous parle de nous et interroge : qu'est-ce qu'être soi ? Qu'est-ce qu'être un soi entravé par les injonctions sociales et les innombrables excuses que l'on s'invente pour les supporter ? « Mes livres c'est quelque chose que je fais contre la vie lamentable, pas autre chose, la vie lamentable que j'ai vue, la vie lamentable que je vois partout. Ça me paraît important que quelqu'un dise ça aux gens. » Nom n'a rien d'une prescription contre la médiocrité et n'a pour d'autre but que de dessiller les yeux qui le liront jusqu'au bout. Alors oui, c'est violent, mais si ça heurte, n'est-ce pas la preuve que nous sommes encore vivants ?
Constance Debré
Nom
Flammarion
Tirage: 18 000 ex.
Prix: 19 € ; 176 p.
ISBN: 9782081515932