En dépit de son titre, Histoires assassines, le nouveau recueil de Bernard Quiriny ne traite pas que de meurtres, ni ne ruisselle d’hémoglobine. Ici, pas de goules ni de vampires. Si l’on se situe bien dans la tradition du fantastique héritée du XIXe siècle, on est plus proche du Pierre Jean Jouve d’Histoires sanglantes ou du Michaux des débuts (deux "nordistes" - et Quiriny lui-même est belge) que de Bram Stoker. Et ce n’est pas un hasard non plus si l’une des nouvelles, "Le buveur", se veut un décalque du conte éponyme d’Henri de Régnier, à qui notre homme a consacré une étude aussi magistrale que réjouissante, Monsieur Spleen (au Seuil, en 2013). Plutôt que convulsif, donc, voici du fantastique "à froid", de la fantaisie glacée et sophistiquée. Un régal.
Chez Quiriny, faire l’amour rend bleu, ce qui pose pas mal de problèmes aux infidèles. On peut devenir mou, prendre le monde à l’envers, se métamorphoser en papillon à cause d’une vieille voisine trop fascinante, perdre le sens de la durée, ne pas reconnaître à ses semblables le droit à une identité, coucher par avance sur le papier un crime que l’on va commettre (ou pas ?), se trouver guillotiné deux fois à cause de la folie d’un directeur de prison, ou encore menacé par des objets qui, certes, ont une âme, mais bien noire. Kafka rôde à chaque page. Mais aussi Hergé, qui aurait adoré la Sterpinie, contrée voisine de la Bordurie avec qui elle entretient des rapports très conflictuels. Un curieux pays dont on a du mal à apprécier la littérature : personne ne s’accorde sur l’existence et le nom de ses écrivains. Pas plus que ne s’accordent les universitaires, qui entretiennent des polémiques absurdes. Autre profession chère à l’auteur, l’anthropologie. En Amazonie, les équipes du professeur Latourelle découvrent de bien étranges peuplades : les Kambélés qui creusent des trous pour rien, les Tuponis qui sont des polygames "tourneurs", les Bamilékés chez qui les hautes castes se crèvent les yeux, ou encore les heureux Bekamis que le sexe, seul, fait hurler de rire… Il y a aussi cette histoire d’un critique littéraire londonien qui décide d’assassiner un écrivain par jour pendant un mois, pour d’excellentes raisons, ou cet autre qui, ayant commis un article élogieux sur le livre de M*** sans l’avoir lu, sollicite de son rédacteur en chef, le roman s’étant, en fait, avéré "archi-nul", la possibilité de réécrire son papier ! Aucun d’entre eux, on l’espère, ne ressemble à Bernard Quiriny.
Jean-Claude Perrier