Juridique

Pour les créateurs et ceux qui les éditent, il ne suffit pas d’avoir une bonne idée. Il faut aussi qu’elle soit protégée. En effet, il est constant que « les idées sont, par essence et par destination, de libres parcours »[1]. Leur protection est donc limitée et encadrée. Ainsi, un « concept » n’est pas en lui-même un élément susceptible de protection au titre de la propriété intellectuelle et industrielle. Sans se décourager, certains avaient quand même réussi à faire protéger un « format » au titre de la protection du droit d’auteur : « Le format doit être entendu comme étant une sorte de mode d’emploi qui décrit un déroulement formel, toujours le même, consistant en une succession de séquences dont le découpage est préétabli, la création consistant, en dehors de la forme matérielle, dans l’enchaînement des situations et des scènes, c’est-à-dire dans la composition du plan, comprenant un point de départ, une action et un dénouement, le format constituant un cadre au sein duquel l’œuvre va pouvoir se développer » (TGI Paris, 3ème ch., 20 avril 2017, RG n° 15-12330).

Cependant, cette protection restait précaire. Heureusement, la Cour de cassation, arrêt après arrêt, construit une jurisprudence protectrice. En effet, si les idées sont de libre parcours, et que le seul fait de reprendre, en le déclinant, un concept mis en œuvre par un concurrent ou de copier un produit libre de droit ne constitue pas, en soi, un acte de parasitisme, la Cour de cassation estime néanmoins qu’une valeur économique individualisée et identifiée peut être protégée contre toute perte de valeur, lorsque celle-ci est sciemment causée par un tiers. Ainsi, un opérateur économique peut agir en parasitisme pour protéger un produit ou un service, qui constitue une valeur économique, si cette dernière est individualisée et identifiée, et à condition de démontrer la volonté du tiers de se placer dans son sillage.

Cette notion de parasitisme se trouve ainsi à la croisée des chemins entre les droits de propriété intellectuelle, qui allouent un droit privatif au titulaire, et le principe de la libre copie et de la liberté du commerce et de l’industrie, dès lors qu’il n’y a pas de droit privatif opposable. Toute la question est de savoir quelle protection accorder sur le fondement du parasitisme à ces biens qui ne font pas, ou plus, l’objet d’un droit de propriété intellectuelle (marque, dessins et modèles, brevet et droit d’auteur).

Le parasitisme économique est une forme de déloyauté, constitutive d’une faute

Pour mémoire, le parasitisme économique est une forme de déloyauté, constitutive d’une faute au sens de l’article 1240 du Code civil, qui consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d’un autre afin de tirer indûment profit de ses efforts, de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis (Com., 16 février 2022, pourvoi n° 20-13.542 ; Com., 10 juillet 2018, pourvoi n° 16-23.694, Bull. 2018, IV, n° 87 ; Com., 27 juin 1995, pourvoi n° 93-18.601, Bulletin 1995 IV N° 193). Il s’agit souvent de la copie servile d’un produit, qui permet à l’auteur de cette copie de se placer dans le sillage de la société qui commercialise ce produit, en profitant indûment soit de la notoriété acquise par celui-ci, soit des investissements consentis, soit des deux. 

Face au flou de cette notion, la chambre commerciale de la Cour de cassation a, par deux arrêts rendus le même jour, clarifié la définition prétorienne du parasitisme. Elle a précisé que celui qui se prétend victime d’actes de parasitisme doit, au préalable, démontrer la valeur économique individualisée et identifiée prétendument parasitée au jour des actes invoqués comme étant fautifs (Com., 26 juin 2024, pourvoi n° 23-13.535). Cette valeur est notamment caractérisée par sa grande notoriété, la réalité du travail de conception et de développement, le caractère innovant de la démarche conduite, ainsi que les investissements publicitaires.

Dans ces conditions, la commercialisation par un concurrent d’un produit, présentant un lien avec le produit initialement mis sur le marché, à une période au cours de laquelle la société conceptrice investissait encore pour la promotion de son produit, devenu phare et connu d'une large partie du grand public grâce aux lourds investissements publicitaires qu’elle avait consentis depuis plusieurs années, démontrait bien la volonté de la société concurrente de se placer dans le sillage d’autrui pour bénéficier du succès rencontré auprès de la clientèle par le produit et, sans aucune contrepartie ni prise de risque, d'un avantage concurrentiel (Com., 26 juin 2024, pourvois n° 22-17.647 et n° 22-21.497).

 

[1] Henri Desbois, Le droit d'auteur en France, Dalloz, 1978, 3e éd., p. 22

 

Alexandre Duval-Stalla

Olivier Dion - Alexandre Duval-Stalla

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