Certes il s'agit d'une anthologie, mais elle est précédée d'une introduction de 150 pages. Un véritable essai, ciselé comme tel, dans lequel Nuccio Ordine nous redit sa passion des classiques, de la lecture et de la culture. Un essai politique aussi auquel renvoie la métaphore de l'insularité de John Donne tirée de Méditations en temps de crise (1624). « Nul homme n'est une île, complète en elle-même ; chaque homme est un morceau du continent, une part d'océan. » Par ces mots, le grand poète anglais rappelait que l'humanité est un continent et que chacun est une partie du tout. La seule frontière d'une île, c'est son littoral, sa limite d'elle-même. Elle doit être bravée en tentant l'aventure des flots, en découvrant, en s'ouvrant au reste du monde. Autour de cet hymne à la fraternité, Nuccio Ordine organise la cinquantaine d'extraits - une page à chaque fois proposée dans une version bilingue - et le bref commentaire qu'il en tire.
Nous explorons ainsi la nature plurielle du temps avec Borges, le rôle de la banque avec Brecht, la reconnaissance envers le maître avec Camus, la négligence avec Cicéron, le totalitarisme avec Conrad, l'engagement avec Gramsci, l'aveuglement tranquille avec Madame de La Fayette, le voyage intérieur avec Xavier de Maistre, l'argent avec Juan Rulfo, la cécité clairvoyante de Shakespeare ou les aléas de l'individu avec Virginia Woolf. Grand lecteur qui sait communiquer sa passion à ses étudiants de par le monde, Nuccio Ordine ne se fait pourtant pas d'illusion. « Les anthologies ne servent à rien si elles ne nous invitent pas à embrasser dans leur intégralité les textes dont elles ont extrait quelques pages ou quelques fragments. »
Spécialiste de Giordano Bruno et de Dante, ce George Steiner italien, qui enseigne dans plusieurs universités, redit dans cet ouvrage son refus des murs, des barrières, des barbelés. Ordine n'oublie pas qu'il est italien et que dans son pays le gouvernement refuse d'accueillir ceux qui ont fui la guerre, la misère et la souffrance. Aussi dédie-t-il son vade-mecum humaniste à quelques auteurs qui lui sont chers. « Je voudrais dire ma profonde solidarité et apporter mon très chaleureux soutien à mon cher ami Roberto Saviano : ses prises de position en faveur des migrants - dans la droite ligne des courageux combats sociaux et politiques qu'il mène depuis des années, en payant pour cela un lourd tribut dans sa vie personnelle - ont fait de lui la cible de violentes attaques et de menaces scandaleuses de la part de nombreux "entrepreneurs de la peur", parmi lesquels
figurent aussi, hélas, des politiciens qui occupent des postes importants dans nos institutions. »
Ce petit manuel de savoir-lire est donc bien plus qu'une invitation à la découverte ou à la redécouverte des classiques. Tout comme le fut le succès de son manifeste L'utilité de l'inutile (Les Belles Lettres 2013, Pluriel 2016), qui dépassa les 20 000 exemplaires toutes éditions confondues, c'est un livre militant pour la littérature, l'imagination et la beauté qui, sans sauver totalement le monde, contribuent à le maintenir un peu plus humain.
Les hommes ne sont pas des îles - Traduit de l’italien par Luc Hersant
LES Belles lettres
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 11,50 euros ; 496 p.
ISBN: 9782251448664