Les frères Ischard sont revenus et dans le quartier ce n'est pas une bonne nouvelle. « Les Ischard » : leur nom signe l'embrouille. Rue des Iris, dans l'un des 138 pavillons de la cité-jardin Hildenbrandt en périphérie de Mulhouse, Melvil, le plus jeune des trois frères, et leur père ont longtemps attendu le retour de ces deux « fauves enragés » dont tout le monde a peur. La sale réputation de Virgile, l'ombrageux légionnaire parti depuis neuf ans, et de Jonas, le sanguin « foncièrement belliqueux et frontal » toujours entre deux affaires, continue d'alimenter « la brutale et glorieuse chronique des Ischard », leur légende « tissée à la force des poings ». La violence est « l'autre nom des Ischard ». Un nom un peu grand, un peu lourd à porter pour le petit dernier, le protégé de sa mère, morte quand il était encore enfant. Adolescent, trop jeune pour les suivre, il observait à distance ses frères, admirait ces chefs de horde, leur virilité alcoolisée, inflammable. Cette fois-ci, le petit frère, toujours fasciné, est là pour se joindre au « barbeuk » de retrouvailles sur le terrain vague. Mais alors que les copains ont vieilli - « ils rivalisent, surenchérissent, redeviennent des surnoms, rejouant, mais maladroitement, la bande de sales gosses qu'ils furent et voudraient tout à coup ne jamais avoir cessé d'être » -, l'incontrôlable colère des deux aînés est toujours prête à semer la terreur.
À 25 ans, Melvil qui fait un travail de bureau à la mairie, s'occupe de son père diminué et de l'intendance domestique, traîne surtout avec un collégien infirme et un ivrogne lettré, un « intellectuel » descendant de la famille du fondateur du quartier. C'est à travers ce personnage dont on apprendra qu'il est lui aussi un paria, que Dan Nisand évoque l'histoire de cet urbanisme utopique, cette cité idéale dans laquelle le riche industriel qui en avait eu l'idée, entre philanthropie et paternalisme, ambitionnait que les enfants soient « élevés dans de bonnes conditions d'hygiène et de moralité ». L'auteur de la novella Morsure (Naïve, 2007) a bâti les plans détaillés de sa cité-jardin imaginaire en s'inspirant de celle d'Ungemach édifiée dans les années 1920 à Strasbourg, où il a lui-même habité. Misère sociale, fatalité des origines, soumission aux lois des caïds de quartier..., pas sûr que les rues soient moins violentes quand elles portent des noms de fleurs.
Dans un style très soutenu, intemporel même si l'histoire se situe à la fin des années 1990, ce roman d'affranchissement raconte le besoin d'appartenance, la difficulté de s'extraire des loyautés dangereuses, pour devenir un homme, pas seulement un garçon sous influence.
Les garçons de la cité-jardin
Les Avrils
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 22 € ; 384 p.
ISBN: 9782491521035