Le futur antique. On se pose souvent la question, en sachant combien la réponse est difficile. Comment un Grec ancien pensait-il au quotidien, en dehors de ce que nous disent Platon ou Aristote ? Pas simple, en effet. Il faut convoquer des sources qui ne sont pas si nombreuses, à commencer par les épopées, les tragédies et l'archéologie. L'helléniste et historienne Danielle Jouanna réussit fort bien son pari en nous projetant dans le cerveau antique à travers les grands textes, ceux d'Homère, Sophocle, Eschyle, Hérodote, etc. Elle a judicieusement circonscrit son travail à un domaine : l'avenir. Comment les Grecs l'envisageaient-ils ? Et par quels moyens ? Bien sûr, il y avait les dieux. Mais comment entrer en contact avec eux ? Le rêve en était un. On considérait que c'était par ce biais que les figures de l'Olympe murmuraient aux mortels. Mais sans cela, il fallait avoir recours aux oracles, celui de Delphes pour solliciter Apollon via la fameuse Pythie ou celui de Dodone, en Épire, pour consulter Zeus, toujours par l'intermédiaire de prêtres grassement rémunérés. On pouvait aussi faire appel aux devins plus ou moins charlatans, aux magiciens encore plus torves ou questionner les morts dans le necromanteion, un sanctuaire dans l'ancienne ville d'Éphyra.

Après plusieurs études remarquées aux Belles Lettres comme Les Grecs aux enfers (2015), L'enfant grec au temps de Périclès (2017) ou Le monde comme le voyaient les Grecs (2018,) Danielle Jouanna poursuit son exploration des mentalités antiques. En dévorant son livre plein d'anecdotes, on les imagine proches de nous ces Anciens, avec leurs inquiétudes, leurs volontés moins de connaître leur propre devenir que d'empêcher celui des autres par des incantations, des potions ou des amulettes. « Les Grecs sont persuadés que leur avenir est fixé de façon immuable par des divinités inflexibles, et ils font tout pour essayer de le modifier comme s'il ne l'était pas. »

Il y a dans cette histoire une forme de continuité paradoxale : on veut savoir de quoi demain sera fait en sachant qu'il nous mène un peu plus vers la fin. À bien y regarder, l'essai de Danielle Jouanna nous pousse dans nos retranchements. Il nous incite à réfléchir à nos destins dans un monde désacralisé en quête d'absolu.