Au lendemain de l'attentat de Nice de 14 juillet 2016, Richard Rechtman avait suggéré de ne plus diffuser l'identité des auteurs de tueries. Le psychiatre et anthropologue (EHESS) remarquait qu'ils étaient ultra-médiatisés au détriment des victimes anonymes. Dans cet essai il tente un parallèle entre les terroristes, notamment ceux de Daech, et les génocidaires. Son ouvrage glaçant, est surtout consacré à l'analyse des comportements des nazis, des Khmers rouges et des Hutus au Rwanda.
La psychologie de ces massacreurs a fait l'objet de nombreux travaux depuis Hannah Arendt surprise par cette « banalité du mal » au procès d'Eichmann jusqu'aux travaux de Stanley Milgram sur la soumission qui montre la transformation de braves gens en bourreaux si une autorité reconnue leur demande de torturer. Il est aussi question dans cet essai du procès du Douch, l'exécuteur en chef des Khmers rouges, mais aussi des criminels durant la guerre en ex-Yougoslavie et bien sûr de l'extermination des Tutsis au Rwanda.
Pour Richard Rechtman, cette culture de la mort les rapproche des terroristes islamistes qui déciment en premier lieu les musulmans, les obligeants à devenir tueurs de leurs voisins, à être eux-mêmes exécutés ou à fuir leur pays. C'est pourquoi il entend ici dépasser le clivage entre les thèses d'Olivier Roy et de Gilles Kepel sur la radicalisation pour entrer au cœur même de cette violence. Il voit ainsi plus de similitudes entre le massacreur de Daech et un nazi qu'avec un jeune de banlieue radicalisé. Pour le djihadiste l'extermination est devenue le but comme pour tous ces « hommes ordinaires » qui n'ont trouvé d'autre choix que de faire le mal. « Ce ne sont pas les idéologies qui tuent, mais les hommes. »
Ces ressemblances dans les modalités de l'action criminelle avec la volonté de tuer le plus grand nombre n'expliquent pas tout. Les cas des Français enrôlés via les réseaux sociaux et quelques imams intégristes restent inexpliqués. Certes ils deviennent eux aussi des tueurs de masses, mais aucune armée d'occupation, aucun État hormis l'état islamique fantôme, ne les enjoint de massacrer. Tout le monde ne devient pas bourreau, heureusement, et cette plongée dans l'horreur montre que le mécanisme psychique à l'œuvre reste terriblement complexe.
La vie ordinaire des génocidaires
CNRS Editions
Tirage: 3 000 EX.
Prix: 20 euros ; 256 p.
ISBN: 9782271095077