Ne jugez pas les gens à leur bibliothèque. Observez un homme politique lors d’une interview télévisée : il aime à se placer devant « ses » livres. Mais interrogez-le sur ce qu’il a lu et vous verrez... Ainsi notre amie Sylvie qui est une très grande lectrice, n’a-t-elle que fort peu de livres chez elle. « Je préfère emprunter les livres qui m’intéressent à la bibliothèque. Je sais que je peux les retrouver à tout moment.» Sans doute a-t-elle raison. Pourtant notre maison est aujourd’hui envahie de livres qui tiennent les murs comme les z’y-vas que Sarko voudrait kärcheriser. Les douze ans où j’ai tenu la rubrique livres du JDD m’ont valu plusieurs dizaines de milliers de livres en service de presse. Pour expliquer ce qui vient de m’arriver, il faut ajouter que, pour des raisons que je n’arrive pas à élucider, nous avons une ascendance nomade, ce qui complique les choses. Quand nous avons déménagé, il y a plus de vingt ans, les livres nous ont fait faire des économies. Le déménageur en chef venu évaluer l’importance de l’opération nous avait fixé un prix assez bas. Lorsque les vrais déménageurs sont arrivés, ce fut une autre histoire. Au lieu d’une demi-journée de travail, il s’agitèrent, de plus en plus difficilement, de 8h à 23h. « Non mais regardez tous ces livres ! Il faudrait que les chefs sachent compter. » Il est vrai que nous avions déjà une petite centaine de cartons de livres. Nomadisme oblige, les livres ont changé plusieurs fois de place dans le nouvel appartement. Comme nos enfants, les premiers temps avaient pris l’habitude de se réveiller dans un autre lit que celui où ils s’étaient endormis. Plus de pièces, plus de cauchemars, nous avons pris l’habitude de les voir traverser notre chambre roulés dans leur couette pour aller finir leur nuit ailleurs. Aujourd’hui nous déménageons encore. Sans quitter l’appartement que nous aimons tant. Mais, les filles parties, le père revenu à la maison par les bienfaits d’un licenciement, nous réorganisons tout. Chacun change de chambre. Et les livres suivent. Cela permet quelques savoureuses découvertes. Je sais que les Jim Harrisson sont chez notre aînée, que les Mauvignier et les Mutis sont chez sa sœur, que le premier de nos garçons stocke tout ce qui passe, des packs de lait aux petits suisses en passant par les livres qui ont fait sa culture très éclectique. Restaient les livres féministes que cultivait ma femme. Le reste étant pour moi, c’est à dire un peu partout. En réaménageant l’appartement j’ai fait plusieurs découvertes. 1/ nombre des livres que j’estimais volés ou prêtés sans espoir de retour figuraient en fait dans les collections particulières des membres de la famille. 2/ Certains étaient simplement… dans ma chambre. C’est ainsi que je ne vous ai pas parlé de Trans de Pavel Hak (Seuil), paru à la rentrée, qui est un extraordinaire roman plein de fureur et de bruit qui nous conduit d’Asie en Afrique pour finir en Europe et qui dit bien mieux que les journaux et les politiciens qui sont ces fameux « sans-papiers » (sans-droits peut-être, non ?). Des êtres de chair et de sang qui ont un nom (ici Wu Tse), une histoire (incroyable), des amours (Kwan) et des blessures (ne les comptons pas) même s’ils n’ont pas de « papiers ». J’ai aussi retrouvé un chef d’œuvre que je croyais disparu. Les sept dormants , publié par Actes sud en novembre 2004 est un livre magnifique (bilingue français-arabe) consacré aux sept moines assassinés à Tibhirine en Algérie. Illustré par un artiste plasticien algérien, Rachid Khoreïchi et rédigé par sept grands écrivains c’est un livre d’une force quasi nucléaire, des poèmes de John Berger et Michel Butor consacrés à Frère Michel et Frère Bruno au texte de Leïla Sebbar « Elle est assise contre la pierre et elle crie », consacré à la mère de Frère Christophe, en passant par le bouleversant « Le chemin de choix » d’Hélène Cixous, sans oublier Sylvie Germain, Nancy Huston et Alberto Manguel. Des textes d’une telle densité que je n’en avais lu que trois, en trois semaines. J’ai retrouvé un des plus grands livres de ma bibliothèque et je ne peux que vous encourager à le trouver, car de très grandes rencontres humaines et littéraires vous attendent. Bonne nouvelle encore: je n’ai pas besoin d’acheter Extrêmement fort et incroyablement près de Jonathan Safran Foer que les éditions de L’Olivier m’avaient aimablement envoyé (quelques éditeurs ne savent pas encore que je n’écris plus dans le JDD). Un livre sur le 11-Septembre ? Pas au sens où Beigbeder et Luc Lang l’ont malheureusement illustré en France. Plus près de l’album d’Art Spiegelman, A l’ombre des tours mortes (Casterman). Mais peut-on écrire des romans sur l’attentat des tours jumelles quand un Don deLillo n’a vu apparaître la guerre du Vietnam dans un de ses romans que plusieurs dizaines d’années après la retraite humiliante de Saigon. Je pourrais ajouter bien d’autres choses encore. Que les rayons féministes de ma femme comportent quelques-uns uns de mes meilleurs livres. Ce qui veut dire qu’elle les a annexés abusivement ou que je parle le féminisme comme M. Jourdain. Cela pourrait nécessiter bien des débats, à condition qu’elle me les rende. Comme avec mon cadet qui était impatient que je débarrasse sa nouvelle chambre de mes livres pour installer ses appareils de musculation. « Les livres ça ne sert plus à rien ! » Mouais…

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