L’image date de 1975. Elle est signée Bertrand Tavernier. Dans Que la fête commence…, Jean Rochefort interprète un abbé Dubois moustachu qui court le cotillon et préfère la fesse à la messe. Elle ne fait que reprendre la légende noire du prélat tracée par Saint-Simon : "tous les vices combattaient en lui". Alexandre Dupilet veut en finir avec ces clichés. C’est ce qui motive le plus souvent le biographe : revisiter un personnage pour établir un portrait "plus juste et plus complet". Avec l’éminence grise du régent Philippe d’Orléans, l’historien avait fort à faire. Il s’en sort haut la main.
Alexandre Dupilet déroule donc la vie de ce fils d’apothicaire de Brive qui devint cardinal et l’un des hommes les plus influents du royaume, à défaut d’en être l’un des plus vertueux. Libertin, vraiment ? A l’en croire, tout le monde l’était à l’époque. Même DSK aurait trouvé l’ambiance un peu leste. En fait, c’est surtout le politique, le noir plutôt que le rose, qui intéresse l’auteur de La Régence absolue (Champ Vallon, 2011). Il n’évacue certes pas les écarts de sa vie privée, mais n’en fait pas le point nodal d’une existence. Il la resitue plutôt dans la lignée de Richelieu et de Mazarin, celle d’un habile diplomate ayant mis fin à la querelle avec l’Angleterre et apaisé le royaume.
Le précepteur du duc de Chartres qui deviendra Philippe d’Orléans apparaît bien comme un homme intrigant, poussé par un arrivisme démesuré, mais qui disposa de belles qualités intellectuelles et d’une capacité de travail hors norme pour s’affirmer comme un fin politique au point de marquer son passage aux Affaires étrangères. Alexandre Dupilet en profite pour établir un lien intéressant entre libertinage et libéralisme. Bref, une biographie rondement menée qui nous plonge dans une époque de petites vertus mais non dépourvue de grandes ambitions. Laurent Lemire