Alphonse Allais (1854-1905), bien avant le champion de l'abstraction Malevitch, présente des monochromes qui ont pour titre Stupeur de jeunes recrues apercevant pour la première fois ton azur, ô Méditerranée pour le bleu, ou encore Première de jeunes filles chlorotiques par un temps de neige pour le blanc. Ces intitulés sont sans doute plus littéraires qu'esthétiques. En 1917, Marcel Duchamp ira plus loin : il baptise son ready-made (objet manufacturé détourné à des fins artistiques) en forme de pissotière Fontaine.
Si, en littérature, inventer des noms propres, c'est déjà faire de la fiction, en art, nommer une oeuvre fait partie intégrante du geste artistique. Le surréaliste espagnol Joan Miró le dit sans ambages : "Je trouve mes titres au fur et à mesure que je travaille, que j'enchaîne une chose à une autre sur ma toile. Quand j'ai trouvé un titre, je vis dans son atmosphère. Le titre devient alors, pour moi, une réalité à cent pour cent, comme pour un autre le modèle, une femme couchée, par exemple."
Le problème du titre a été moins étudié dans les arts plastiques qu'en littérature, notamment avec Gérard Genette et son essai, Seuils, sur le paratexte, cette écriture qui accompagne de façon liminaire ou entoure en marge le texte proprement dit. La fabrique du titre, un ouvrage collectif sous la direction de Pierre-Marc de Biasi, Marianne Jakobi et Ségolène Le Men, comble cette lacune et tente de défricher le terrain en se donnant pour objet de "penser le titre comme processus". Raphaël et son chef-d'oeuvre La belle jardinière, ainsi nommé par la postérité afin de le distinguer de ses autres madones ; les Sans-titre de Pierre Soulages affirmant par l'absence de dénomination originale "l'autonomie plastique"... Voici une véritable traversée de l'histoire de l'art par les différents aspects du titre : sa genèse et ses métamorphoses, ses stratégies, son processus créatif.