Denis Mukwege a failli mourir quand il était tout petit, mais sa mère s'est battue comme une lionne pour le sauver. Depuis, c'est comme s'il se sentait redevable envers toutes les femmes. Né au Congo en 1955, au sein d'une famille « noire et pauvre », composée de huit enfants, il devient pasteur comme son père. Il poursuit sa vocation de médecin et se lance dans une spécialisation en gynécologie et chirurgie, mais il apprend véritablement son métier sur le terrain. C'est un choc. « Les récits de viols sont aussi vieux que le monde. » Il s'agit clairement d'une « épidémie que nous commençons tout juste à traiter ». Une épidémie qui frappe cruellement son pays. « Les femmes qui grandissent au Congo sont considérées dès la naissance comme des citoyens de seconde zone. »
Les guerres, les conflits, la violence sociale ou intrafamiliale transforment le viol en arme massive. Le Dr Mukwege estime qu'on est arrivé à un point où « la nature et la fréquence des blessures [sont] sans précédent ». Des témoignages difficilement soutenables renforcent ses propos. À peine dicibles, les dégâts physiques, psychologiques et socio-économiques sont gravés à perpétuité. « Beaucoup de femmes avaient la même expression désespérée : ils m'ont tuée. » C'est pourquoi la chirurgie réparatrice ne suffit pas. Il faut aussi « essayer d'améliorer la perception [qu'ont les] patientes d'elles-mêmes », en leur offrant l'apprentissage d'un métier et une solidarité féminine. Autant de missions réalisées au sein de l'hôpital Panzi, fondé par Mukwege. Il a traité « environ 60 000 survivantes de violences sexuelles depuis son ouverture » en 1999. La plus jeune n'ayant que 2 ans. Impossible de rester de marbre face à tant d'horreur quotidienne. « J'ai senti mon travail me broyer, la tristesse m'envelopper comme un linceul. La foi en l'humanité a parfois été ébranlée face à tant de corps déchirés, de vies et de communautés détruites. »
Lui et sa famille sont en outre souvent menacés de mort. Mukwege dérange car il se bat pour dénoncer la monstruosité dont il est témoin. Il ne limite pas son discours politique au Congo. Il cherche à identifier les causes de cette tragédie universelle et comment y remédier. Alors que « le viol reste largement impuni dans le monde », ce sont les agresseurs « qui doivent en payer le prix, pas les victimes. » Cet ouvrage passionnant et enrichissant donne d'ailleurs largement la parole aux femmes, qui font preuve d'une force et d'une résilience admirables. À l'image d'Eve Ensler (Les monologues du vagin) - très investie auprès de Denis Mukwege - et de diverses anonymes, elles incarnent la lumière dans une réalité bien sombre. « Il n'est pas courant qu'un homme fasse campagne pour les droits des femmes. » Pourtant, sans les hommes, on ne pourra jamais vaincre ce fléau. « Nous, les femmes, méritons le respect » déclare une victime sexagénaire.
Ce récit - à paraître dans plusieurs pays - est indispensable. Remarquablement écrit, il fait un constat aussi exhaustif que bouleversant. Un texte grandiose qui s'attaque avec beaucoup d'humanité à ce sujet douloureux.
La force des femmes Traduit de l’anglais par Marie Chuvin et Lætitia Devaux
Gallimard
Tirage: NC
Prix: 20 € ; 400 p.
ISBN: 9782072956157