4 septembre > Correspondance Autriche

Dans certaines correspondances, on sent la tension monter. C’est le cas ici, entre Stefan Zweig (1881-1942) et Joseph Roth (1894-1939). Au début, pas grand-chose. Une politesse de bon ton. Il est souvent question d’argent, chose assez courante chez les écrivains, surtout chez ceux comme Roth qui n’en ont pas.

Et puis les années filent. Hitler arrive au pouvoir et la conversation prend une autre tournure. Bien sûr on parle encore de littérature, mais lorsqu’on est juif, on pense à autre chose. Deux caractères dissemblables se dessinent. Zweig, le grand bourgeois, le « grantécrivain » à succès qui croit encore à la civilisation, et Roth, l’écorché vif, le saint buveur qui finit alcoolique et miséreux dans un hôtel.

Imaginez Blondin et Montherlant devisant du monde. D’accord sur rien, sauf sur l’essentiel, la littérature. Roth y va de ses emportements sur les « puantes flatulences luthériennes » de l’Allemagne nazie ou de son jugement sur un Thomas Mann qu’il trouve trop tiède : « intellectuellement, il n’est pas à la hauteur de son talent ».

Avec Zweig, c’est différent. Il est son auteur solaire, son bienfaiteur, alors que lui vit rongé par la paranoïa et le vin blanc. Et pourtant, il écrit à son ami, un jour de 1931 : « La vie est tellement plus belle que la littérature ! Je plains la littérature ! C’est une escroquerie ! » Roth s’effondrera sur le pavé parisien, Zweig se suicidera trois ans plus tard au Brésil.

Ce passionnant échange témoigne d’une amitié de onze ans. Roth s’y montre envahissant, tel le copain qui vous tient la jambe et vous envoie deux lettres par jour, la seconde pour vous dire qu’il a oublié deux lignes dans la première… Toujours pour réclamer de l’argent, dire que ça va mal, que l’écriture est une souffrance. Mais quel style ! Et Zweig, de Londres, d’Antibes ou d’ailleurs, qui répond imperturbable que c’est « une vraie folie de télégraphier à tout bout de champ ».

Pierre Deshusses, le traducteur, parle de « roman de l’exil » pour qualifier cet échange entre deux géants au bord du précipice. Il a raison. Et le lecteur n’a pas le sentiment d’être de trop. Il regrette simplement que cela se soit arrêté si tôt. L. L.

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