Des bibliothèques contre la violence

Erigée au cœur de la plus grande favela de Rio de Janeiro, la bibliothèque-parc de Rocinha est un lieu d’expression et de loisirs pour les habitants de la communauté. - Photo Mylène Moulin

Des bibliothèques contre la violence

Né en Colombie dans les quartiers défavorisés, le concept de « bibliothèque-parc » a essaimé au Brésil. Rio de Janeiro en compte trois, dont la plus récente s’est ouverte en 2012 au cœur de Rocinha, la plus grande favela du pays. Reportage.

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Par Mylène Moulin
avec Créé le 11.10.2013 à 19h48 ,
Mis à jour le 08.05.2015 à 15h07

De la terrasse, on aperçoit l’océan, la plage interminable bordée d’hôtels de luxe et la forêt qui enserre la ville. Un cadre idyllique qui tranche avec la réalité immédiate : bâtiments délabrés construits à même le flan de la montagne, route sinueuse et engorgée, mobylettes folles, labyrinthe de ruelles sales et noircies, détritus qui s’entassent. C’est là, à Rocinha, bastion du trafic de drogue « pacifié » en 2012, qu’a été inaugurée il y a un peu plus d’un an une bibliothèque-parc, la troisième en son genre au Brésil.

Né en Colombie, ce concept pose la culture comme une valeur essentielle capable de contribuer à réduire les indices de violence. Symboles de la transformation urbaine et sociale, ces bibliothèques sont pensées dans l’optique de l’intégration et de la participation des habitants. « Cette notion est essentielle dans les favelas : ici l’exclusion est une réalité. Nous devons proposer un espace que la communauté puisse s’approprier : c’est-à-dire un lieu beau, utile, ouvert et qui s’intègre au tissu local », explique Daniele Ramalho, la directrice de la bibliothèque-parc de Rocinha. Construit sur cinq étages au cœur de la plus grande favela de Rio de Janeiro, ce centre culturel de 1 600 mètres carrés héberge auditorium, studio de montage, cyberespace avec 48 ordinateurs et 12 notebooks, salles de conférence, école de cuisine, café littéraire, coin vidéo et bibliothèque.

Les langages de la communauté.

Ici pas de tyrannie du silence mais des rencontres, du partage, des rires. Dans la pièce « jeunesse », un groupe d’enfants joue et lit sous le regard d’une éducatrice. Plus loin un ado est assis au sol, entouré de mangas. Dans l’escalier on croise une famille de Rocinha venue « admirer la vue d’en haut sur la favela ». Pendant ce temps, au rez-de-chaussée, un couple de jeunes gens enlacés regarde un film, casque vissé sur les oreilles. Lire, écrire, regarder, toucher, danser, parler. Dans les bibliothèques-parcs, ce sont les langages qui comptent, et l’expression par les mots, qu’ils soient écrits ou dits. En quelques mois de fonctionnement, la bibliothèque a déjà rassemblé de nombreuses initiatives culturelles nées sur le territoire, portées par la communauté de Rocinha. « La plupart des histoires qui se déroulent ici ont commencé avant nous, certains projets ont déjà trente ans d’existence. Nous mettons seulement à leur disposition des équipements culturels de qualité pour développer leur travail », rappelle Daniele Ramalho.

74

000 visiteurs en quinze mois.

En quinze mois, Rocinha a vu passer 74 000 personnes, en majorité des jeunes. A peine 3 000 inscriptions ont été recensées et 8 000 livres prêtés. Le travail d’accueil est essentiel pour familiariser les visiteurs. Parmi les employés, plusieurs ont grandi à Rocinha ou travaillaient auparavant dans la médiation sociale. La directrice elle-même présente un profil atypique. Productrice culturelle, conteuse, spécialisée dans les questions de diversité culturelle, de lecture et de technologie, elle apporte un regard neuf et une appréhension du public différente. Cela ne l’empêche pas de mener une politique de travail orientée sur le livre. « On ne doit pas oublier que le cœur de notre travail, c’est la lecture. On se demande constamment comment inviter notre public à lire. On use de stratégies ludiques, on ruse : on laisse des livres en évidence sur un coin de table pendant un atelier, on propose d’attendre que l’ordinateur se libère avec un livre à lire, on met en place des ateliers pour apprendre le portugais… », détaille Daniele Ramalho.

Le fonds, composé de 13 000 volumes, mêle culture érudite et populaire. Entre les classiques de la littérature, la philosophie, les sciences politiques, l’écologie, les livres d’art et la littérature jeunesse, on trouve les livres publiés par des auteurs de Rocinha et d’autres favelas. Dans cette bibliothèque-parc, seul le vigile à l’entrée et les policiers en patrouille dans la rue rappellent la spécificité de son implantation. « Nous n’avons pas de problèmes avec les habitants de la favela. L’endroit est respecté car le projet a été mené en accord avec la communauté : il a fallu huit ans de négociations entre la population et le gouvernement de l’Etat de Rio avant que la bibliothèque voie le jour », raconte la directrice. Elle l’assure : tant que la bibliothèque remplira son rôle de rapprocheur de culture et écoutera ce que ses usagers ont à lui transmettre, tout ira bien. <

11.10 2013

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