Essai/France 13 septembre Dominique Noguez et Michel Taillefer

Les deux ne sont plus là. Michel Taillefer est mort en 2011, Dominique Noguez en mars dernier, juste après avoir relu les épreuves de cette correspondance inédite. Le premier était de Toulouse dont il deviendra l'un des grands historiens. Il fera sa carrière à l'université du Mirail. Le second, né en Normandie, vivait à Biarritz. Philosophe puis écrivain, il adoptera Paris, ses us, ses coutumes. La Sorbonne l'accueillera pour enseigner l'esthétique. Tous les deux furent normaliens, brillants sujets de l'élite républicaine. C'est rue d'Ulm qu'ils se sont connus puis appréciés au point d'entretenir une relation épistolaire durant dix ans, de 1963 à 1973.

Alors de quoi parle-t-on quand on a été copain de thurne dans la France gaulliste ? De tout, de rien, du temps qui passe, de la politique, des livres, des musiques et des films. On recherche les bonnes tables, on fouine dans les librairies, on fait la queue devant les cinémas. Dominique Noguez raille le style du général. Il observe un Ricœur « ébouriffé d'ennui » lors d'un concours avec des étudiants atones, se réjouit de la lecture de Ian Fleming et note en 1964 : « Notre jeunesse a changé : les combats révolutionnaires ne nous passionnent plus. » Quatre ans plus tard, en mai 1968, il est à Cannes où il organise avec d'autres cinéphiles la suspension du festival. « Recevons appui inespéré de Truffaut, Lelouch, Godard arrivés le matin même. »

Michel Taillefer voyage beaucoup : Egypte, Grèce, Tchécoslovaquie, Espagne de Franco. Ce Pyrénéen observe Paris avec une distance prudente. Il rassure aussi son ami au moment des coups de cafard. C'est l'époque où l'on vénère Gide et où l'on se rend aux Décades de Cerisy comme à Lourdes. On discute les nouveaux Hitchcock - Noguez sera un expert du cinéma expérimental américain - et le nouveau roman.

Que nous révèle cette correspondance ? D'abord deux beaux esprits agités par les tourments de la jeunesse et une curiosité insatiable. Ces deux garçons dans le vent sont moins ballottés par celui de l'histoire que transportés par celui d'une époque où l'on passe des salles obscures aux brasseries, où l'on commente Théorème de Pasolini en jetant un œil sur les filles ou sur les garçons en terrasse. Les téléphones ne servaient pas à écrire et l'on s'envoyait des lettres. Pourtant les mentalités changeaient dans une France qui s'émancipait du carcan gaulliste pour entrer dans l'ère pompidolienne de la croissance et de la bagnole. En fait, quelque chose transparaît de cet échange, quelque chose d'aussi rare que l'amitié et d'aussi délicat que l'humour : le pétillement de l'intelligence.

Dominique Noguez et Michel Taillefer
Deux khâgneux sous de Gaulle
Plein Jour
Tirage: 3 500 ex.
Prix: 22 euros ; 496 p.
ISBN: 9782370670410

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