Avant-critique Récit

Diana Filippova, "De l'inconvénient d'être russe" (Albin Michel)

Diana Fillopova - Photo © Pascal Ito

Diana Filippova, "De l'inconvénient d'être russe" (Albin Michel)

Racontant son enfance d'immigrée russe en banlieue de Nancy, Diana Filippova révèle comment son identité d'origine la rattrape.

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Par Sean Rose
Créé le 30.08.2023 à 14h00

L'autre roman russe. L'identité est simple. Pour les identitaires. Il y a « nous », il y a « eux ». Le sujet appartient au roman national sans trop se poser de questions. Mais qu'est-ce qu'être quelque chose, quand ce quelque chose vient d'ailleurs, et qu'on vit depuis des années loin du sol natal ? Dans De l'inconvénient d'être russe, Diana Filippova, née à Moscou en 1986, raconte son arrivée en France à 7 ans et son acculturation au pays d'accueil. Installation en banlieue de Nancy avec ses parents, des scientifiques russes en poste en Lorraine ; brillant parcours scolaire et brimades de la part des camarades qui la traitent de « ruskoff » ; un sempiternel tiraillement intérieur : identité russe qu'elle défend dans la cour d'école et qu'elle rejette à la maison où on lui faisait « avaler des piles et des piles de romans russes ». L'autrice de L'amour et la violence (Flammarion, 2021) déroule derechef la pelote du récit d'une lente amnésie sous les auspices de l'intégration à la française. « Je suis l'enfant de cette rencontre entre le désenchantement du monde et la méfiance républicaine envers toute forme de détermination. Comme telle je suis imbue de fantasmes de table rase, de sa haine du fatalisme pesant du sang et du sol. Élevée comme mes pairs dans le désir de toute puissance [...] pour moi comme pour eux, la vraie vie, le soi véritable ne peuvent se trouver que loin de l'eau trouble des origines. »

Le fait qu'elle a grandi en province et en zone périurbaine et non à la capitale où son cosmopolitisme eût peut-être été mieux accepté n'a pas aidé Diana Filippova à assumer son héritage russe. Une Russie déliquescente livrée à la rapacité des oligarques non plus. Les années 1990 marquent le début de ce « rejet volontaire de ma russéité ». C'est à Paris qu'elle trace sa voie dans l'écriture, l'essayiste et romancière est devenue française au point qu'on en oublierait presque son patronyme aux accents russes.

Et voilà que Poutine attaque l'Ukraine. Des amis l'appellent pour compatir à la peine qu'elle doit sans doute ressentir d'être du mauvais côté de l'histoire, la renvoyant à son identité d'origine. Certains livres décident pour vous. Et toute sa russéité refoulée de resurgir. De l'inconvénient d'être russe s'impose. Enfance en Russie post-soviétique : une grand-mère sévère qui la gardait, les pommiers dans la datcha l'été... L'autrice replonge dans son passé et son éducation tout empreinte de culture, elle retrace ses origines métissées - son père est désigné grec (la minorité pontique, les hellénophones de la mer Noire) selon la nomenclature ethnique en vigueur à l'époque en URSS. Ainsi brosse-t-elle le portrait d'une autre Russie : cosmopolite, cultivée, curieuse, critique, pas la Russie de Poutine, celle de Pouchkine. Russie faite du « sang des poètes », et dont elle assume aujourd'hui assurément l'héritage.

Diana Filippova
De l'inconvénient d'être russe
Albin Michel
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 19,90 € ; 202 p.
ISBN: 9782226484871

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