Avant-portrait > Anne Serre

Depuis son premier roman, Les gouvernantes, en 1992, Anne Serre a façonné une œuvre en forme d’autel à la fiction. A la sortie du socratique Dialogue d’été dans lequel une femme écrivain - elle n’aime pas le mot "écrivaine" - répond aux questions d’une intervieweuse autour de l’art du romancier et professe sa foi quasi mystique en l’imaginaire, elle évoquait ses treize livres comme les pièces d’un puzzle qui s’assemblaient et commençaient à dessiner une image. Elle complète aujourd’hui : "J’ai l’impression que dans chacun de mes romans, je laisse comme une petite cellule indéfrichée et que c’est à partir de cette partie manquante que naît le livre suivant."

Libre et ludique

Avec ce fantasque Voyage avec Vila-Matas, variation en trois mouvements autour de la figure du facétieux Catalan, transfiguré ici en inspirante apparition, elle prolonge la réflexion sur le métier d’écrire. Exercice d’admiration, hommage aux œuvres qu’elle chérit où s’animent aux côtés de quelques écrivains bien réels (Kafka, Walser…) une brochette d’auteurs de son invention, ce dernier livre qui peut se lire aussi comme un autoportrait en creux ne pouvait avoir l’apparence que d’un roman. La fiction est son unique jardin.

On peut bien essayer de la débusquer derrière ce personnage d’écrivain en représentation, invitée à un festival littéraire à Montauban, mais tout est filtré et recréé puisque Anne Serre se dit atteinte de cette "maladie" qui consiste, à l’inverse de ceux qui prennent leurs rêves pour la réalité, à "prendre la réalité pour un rêve". Toutefois, elle concède que la proportion entre l’expérience vécue et l’imaginaire est ici plus équilibrée : "J’ai eu envie de me montrer un peu plus", reconnaît celle qui se dit fondée par une "croyance enfantine", "l’illusion folle d’être un écrivain célèbre mais caché, vivant incognito dans le monde".

On dira seulement que, comme son personnage, Anne Serre a perdu sa mère quand elle avait 12 ans et qu’elle n’a pas d’enfant. On ajoutera - mais ce n’est pas dans le roman - qu’elle est arrivée à Paris, où elle habite, à 17 ans, pour entrer en hypokhâgne. Et que depuis une douzaine d’années, après avoir gagné sa vie comme pigiste et lectrice pour différents éditeurs, elle ne se consacre plus qu’à des activités liées à sa profession d’écrivain. Mais ces quelques éléments biographiques ne disent pas grand-chose. Peut-être parce que ce qui caractérise Anne Serre, c’est la distance, distance face au malheur comme au bonheur, position qui chez elle est aussi existentielle que littéraire. Et c’est ce "choix de la joie" fait il y a très longtemps qui donne à ses livres leur esprit offensivement libre. La dimension ludique, enfin, essentielle. Comme dans Petite table, sois mise !, stupéfiant conte initiatique "pour adultes avertis", elle a voulu "jouer avec l’œuvre de Vila-Matas". Et plus largement, elle vénère "ce jeu périlleux et fascinant d’écrire". Un "jeu sérieux", le seul qui l’intéresse. Véronique Rossignol

Anne Serre, Voyage avec Vila-Matas, Mercure de France. Prix : 14 euros, 144 p., sortie le 3 janvier. ISBN : 978-2-7152-4456-6

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