Les admirateurs de Frantz Fanon (1925-1961) seront comblés. Ce deuxième tome des Œuvres réunit quantité de textes inédits ou inaccessibles, notamment sa thèse de psychiatrie soutenue en 1951, "Altérations mentales, modifications caractérielles, troubles psychiques et déficit intellectuel dans l’hérédo-dégénération spino-cérébelleuse". Disons-le d’emblée, elle est très scientifique. Néanmoins, quelques phrases comme celle-ci illustrent sa démarche philosophique : "L’homme cesse d’être un phénomène à partir du moment où il rencontre le visage d’autrui." De même, les deux pièces de théâtre écrites pendant ses études de médecine à Lyon et proposées en ouverture du volume valent plus pour leur intérêt documentaire que pour leur puissance dramatique. L’essentiel se trouve ailleurs, dans les articles, dans les pages du Journal de l’hôpital algérien, dans la correspondance avec son éditeur, François Maspero, et dans l’analyse des livres de sa bibliothèque. On voit combien les ouvrages de Sartre sont annotés, presque à chaque page, combien la pensée du fondateur des Temps modernes compte pour l’auteur des Damnés de la terre. "Demandez à Sartre de me préfacer. Dites-lui que chaque fois que je me mets à ma table, je pense à lui", écrit-il à François Maspero huit mois avant sa mort.
Ces pages retrouvées en disent long sur la personnalité de ce militant anticolonialiste mort à 36 ans d’une leucémie. Psychiatre influencé par Lacan comme le montre sa thèse, Fanon ne cessera de lutter contre une médecine raciste qui considérait l’Africain comme inférieur mentalement. A l’hôpital psychiatrique de Blida-Joinville, il s’oppose à l’école algérienne de psychiatrie d’Antoine Porot qui envisage les colonisés comme des primitifs.
Pour Fanon, c’est au contraire la colonisation qui entraîne la dépersonnalisation. Cette aliénation conduit à l’acculturation, à l’oppression, à la déshumanisation et au rejet. On retrouve cette analyse fondée sur l’observation clinique dans les articles politiques publiés dans El Moudjahid pendant la guerre d’Algérie.
Hormis sa thèse, tous ces textes témoignent de la passion de Fanon pour la littérature. Ajoutons que l’ensemble vaut aussi pour le travail de Jean Khalfa et de Robert Young qui éclairent de leurs commentaires cette belle collecte. L. L.