Avant-critique Récit

Jeremy Atherton Lin, "Gay bar. Pourquoi nous sortions le soir" (Éditions Tusitala)

Jeremy Atherton Lin - Photo © DR/Tusitala

Jeremy Atherton Lin, "Gay bar. Pourquoi nous sortions le soir" (Éditions Tusitala)

Dans un récit littéraire, Jeremy Atherton Lin raconte le bar gay, du siècle dernier à nos jours, de l'atmosphère de clandestinité au mainstream.

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Par Sean Rose
Créé le 21.03.2024 à 09h00

Partage au bout de la nuit. Oscar Wilde fut condamné aux travaux forcés après avoir été jugé de coupable de « grossière indécence » - un outrage à la pudeur impliquant des activités sexuelles entre hommes. En Angleterre, il aura fallu attendre 1967 pour que l'homosexualité soit autorisée, et encore, entre hommes âgés de 21 ans révolus... Et 2001 pour aligner l'âge du consentement des homosexuels sur celui des hétérosexuels. Les mentalités ne changent pas à coups de baguette législative. Et l'eau a beau avoir coulé sous London Bridge, les lieux de sociabilité queer d'Albion ont longtemps fleuré la subversion. Même lors la libération des mœurs des années 1960 et 1970, même durant les années sida qui décimèrent la communauté gay, cette orientation sexuelle, perçue de manière séculaire comme déviante, était assimilée à la contre-culture. À la fois esthétiquement avant-gardistes et omniprésents dans les arts et la mode, et socialement discrets en politique ou dans le sport... les gays étaient en marge. Ils ne faisaient rien pareil - ils faisaient l'amour avec des gens du même sexe et beaucoup la fête jusqu'aux petites heures du jour, voire à la fin de leurs jours. Ils ne convolaient pas encore en justes noces, n'étaient pas supposés avoir d'enfants. C'était avant la généralisation des codes vestimentaires gays par le truchement du concept de métrosexuel (l'hétéro qui va à la gym et met de l'antirides)...

Dans ce récit littéraire, Jeremy Atherton Lin raconte les hauts lieux de la promiscuité queer que sont les pubs de Soho ou de l'Adelphi, ancienne parcelle du duc de Buckingham et historique « sanctuaire du sexe gay », ou encore les clubs de Los Angeles ou les saloons de San Francisco. Esthètes interlopes, Spartacus harnachés de cuir, reines de la nuit à hauts talons... le flâneur homo se veut mémorialiste d'un mode de sociabilité mis à mal par la banalisation du sigle LGBT et l'universalité des applis de rencontre. « L'histoire gay est un palimpseste de "et si" [...] Je pratique une archéologie du regard, une archéologie du cruising [...] Ce que je déniche n'est peut-être que le fruit de mes fantasmes, comme l'idéalisation d'un inconnu dont on distingue à peine les traits dans l'obscurité. » À travers ses pérégrinations érotiques et noctambules, l'auteur raconte aussi en creux sa relation avec son copain Famous. Jeremy Atherton Lin, c'est Guillaume Dustan meets Bruce Bégout. Vertige du désir sans bride et mélancolie d'un certain nocturne urbain : « Tard dans la nuit, tous les hommes de la salle deviennent des garçons ("Salut les garçons !" nous lance la drag-queen) et ce flou du Neverland révèle notre état d'esprit de quête perpétuelle. » Gay bar, ou l'anatomie d'une utopie.

Jeremy Atherton Lin
Gay bar. Pourquoi nous sortions le soir
Tusitala
Tirage: 3 000 ex.
Prix: 23 € ; 320 p.
ISBN: 9791092159349

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