Un sale mot. L'expression est mâchonnée à tout bout de champ dans certains films américains et chez les rappeurs sous le terme de « fuck » ou de « fucking » quelque chose ou quelqu'un. En France, on dit « putain », forme alternative de « pute ». Mais d'où provient ce vocable ? Que dit-il vraiment ? Dominique Lagorgette a mené l'enquête. Professeure de sciences du langage à l'université Savoie Mont-Blanc, elle est partie à la recherche de ce mot devenu stigmate, exhibant une richesse lexicale qui laisse pantois.
On est loin des travailleuses du sexe et pourtant on y revient toujours sous la forme d'un jugement. Le « Putain, il a vraiment osé ! » fait entendre le sentiment de mépris. Le « Putain, trop bien ! » suggère le plaisir. Même le « J'en ai vraiment marre, putain ! » fait écho à la lassitude des prostituées. Ce mot vide autorisant l'exclamation n'est pas si vide que cela. Pour bien montrer ce qui circule de manière plus ou moins inconsciente, il suffit de prendre un terme neutre comme « fille ». La légèreté des mœurs s'invite si on y ajoute « de joie ». La métaphore animale suggère elle aussi la bête de sexe. Celle qui fait le pied de grue devient une grue tout court. Une demi-monsdaine est nommée « demi-castor » chez Proust en écho à la toison féminine, « beaver » (castor) en argot anglais. Morue, baleine et vieille pieuvre complètent ce zoo méprisant qui désigne la putain. « On peut se demander s'il ne serait finalement pas plus simple de lister les termes désignant les femmes qui ne renvoient pas également à la prostitution ou aux mœurs dites légères. »
L'insulte la plus proférée à l'encontre des femmes touche aussi les hommes à travers l'expression « fils de pute », qui indirectement continue à viser les femmes. La misogynie est constante comme en témoignent certaines paroles dans le rap. « Les féministes me persécutent me prennent pour Belzébuth / comme si c'était d'ma faute si les meufs c'est des putes » chantait il y a quinze ans Orelsan. Dominique Lagorgette traque les expressions sur onze siècles, sonde les bases de données littéraires et repère les occurrences dans la société, comme la création de l'association Ni putes ni soumises en 2003 à la suite du meurtre d'une jeune femme. Et dire que tout cela commence au paradis avec Ève qui croque le fruit défendu ! Au XVIe siècle, on évoque les « filles d'Ève » pour caractériser ces femmes séduites par le serpent. L'étymologie de « pute » quant à elle serait à rechercher dans le putidus latin, qui signifie pourri ou puant. La saleté physique devient saleté morale. Puis on glisse de l'état au statut, voire à la profession ou à la débauche tarifée ou non.
L'étude de Dominique Lagorgette est passionnante car elle met en évidence des constantes sur la longue durée. Son analyse du champ lexical révèle une forme d'archétype culturel dans les représentations des femmes depuis le Moyen Âge. Car le juron ne fait pas que transgresser en agressant. Il propage aussi des clichés.
Pute. Histoire d'un mot et d'un stigmate
La Découverte
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 16 € ; 300 p.
ISBN: 9782348075858