Dire que l’islam ne traverse pas la période la plus lumineuse de son histoire tient de la litote. Domination d’une vision littéraliste et sclérosante, piétisme peu ouvert sur le monde extérieur et à l’évolution générale des mœurs, alliance contre nature entre l’orthopraxie (la pratique rigoriste du Coran) et l’ultra-modernisme (un consumérisme effréné soutenu à coups de pétrodollars) qu’illustrent l’Arabie saoudite et les émirats du Golfe, lorsqu’on n’a pas affaire aux avatars monstrueux du djihadisme. Du Maghreb à l’Indonésie en passant par la Turquie, le Pakistan ou l’Iran, un vent mauvais de conservatisme religieux souffle. Pourtant, dans l’histoire, il y eut le fameux "esprit de Cordoue". Averroès n’a-t-il point été surnommé "le Commentateur", à savoir d’Aristote dont il transmit à l’Occident la philosophie ?
Quid du monde musulman contemporain ? Une voix s’élève, qui assume l’héritage islamique - ses lumières, sa tradition soufie - tout en tissant des liens avec "les autres humanismes" : Abdennour Bidar. "Le tisserand" qui publie ces jours-ci Quelles valeurs partager et transmettre aujourd’hui ?, se revendique "philosophe critique de l’islam". Philosophe critique, c’est-à-dire dont l’intelligence s’applique aux temps présents : "Je suis contre le refuge historiciste, en un mot : ne pas compter sur Averroès.", dit-il. Car l’islam ne pourra faire l’économie d’un aggiornamento. Dans Lettre ouverte au monde musulman, dont la version courte sur le site de Marianne, après les attentats de janvier 2015, avait frôlé les 3 millions de clics, il ne mâchait pas ses mots. Sa thèse portait sur Mohammed Iqbal (1877-1938), "un penseur de l’islam très singulier, originaire de l’actuel Pakistan, qui a été interpellé par le "Dieu est mort" de Nietzsche". L’auteur de Self islam : histoire d’un islam personnel trace un parcours très intérieur en dehors de voies balisées par le dogme religieux.
30 recommandations
Le background spirituel d’Abdennour est mélangé : une mère française convertie au soufisme, un beau-père berbère marocain très prosélyte et un grand-père auvergnat communiste. Croyant - Abdennour Bidar nous montre le chapelet qu’il tient dans sa poche -, il est un des corédacteurs de la Charte de la laïcité à l’école et prône une "sortie de la religion", le système organisé par des clercs qui s’arrogent le magistère de la foi, "un au-delà de la religion et de l’athéisme". Mais gare à ne pas jeter le bébé de la spiritualité avec l’eau de la religiosité. Dans son nouvel ouvrage, il propose 30 recommandations, composant une sorte de Petit traité des grandes vertus à la André Comte-Sponville, "mais avec des références extra-occidentales, car [il est] aussi bien l’héritier de Kant et de Jankélévitch que d’Iqbal ou de Confucius". Très iréniste, voire idéaliste. N’a-t-il pas l’impression de se battre contre les moulins ? Le philosophe de sourire : "J’aime beaucoup Don Quichotte."
Sean J. Rose
Abdennour Bidar, Quelles valeurs partager et transmettre aujourd’hui ?, Albin Michel. Prix : 18 €, 280 p. Sortie : 29 septembre. ISBN : 978-2-226-32623-2.