Les éditeurs de beaux livres semblent avoir trouvé leur voie. La production se relève au semestre 2016, après plusieurs années consécutives de contraction du nombre de titres. Selon nos estimations, réalisées avec la base electre.com, 1 874 nouveautés déferlent depuis le 1er août ou sont attendues jusqu’au 31 décembre dans les rayons des librairies, soit une hausse de 10,2 % par rapport à la même période de 2015. Certains éditeurs font même le choix de se développer dans ce secteur à l’instar de Prisma qui crée la marque Heredium, avec 6 titres pour la fin d’année, "preuve renouvelée de notre conviction de la possible vitalité du beau livre en France", selon Pierre-Olivier Bonfillon, directeur des éditions. Tous les segments sont concernés par cette croissance de la production : + 9 % du nombre d’ouvrages en art, + 10,5 % pour la photo, presque autant pour les livres illustrés avec une hausse de 10,4 % tandis que les catalogues d’exposition font un bond de 14 %. Un dernier point significatif qui témoigne d’un regain de confiance des éditeurs du secteur alors même que les musées français ont subi l’année précédente le sévère contrecoup des attentats : - 13 % de fréquentation au Quai Branly, ou encore - 6,4 % pour le Louvre. Un phénomène aux conséquences directes sur l’écoulement des catalogues qui se sont faits deux fois plus rares dans le top 50 des meilleures ventes 2015 en livres d’art. Si les éditeurs affichent actuellement un timide optimisme c’est que, malgré ce coup dur pour un marché qui s’appuie de plus en plus sur l’actualité muséale, le beau livre n’a pas suivi la dégringolade de ses partenaires privilégiés. Selon le baromètre Livres Hebdo/I+C, le secteur fait certes toujours figure de lanterne rouge du marché, enregistrant une baisse des ventes de 3 % sur l’année 2015. Mais les éditeurs ont décidé d’entrer en résistance.
La force de l’image
Les événements tragiques de 2015 n’ont pas eu qu’une incidence économique sur le secteur, ils ont aussi servi de catalyseur à une tendance éditoriale déjà amorcée depuis plusieurs années, le développement du société illustré. Sans aborder frontalement les attentats, comme ont pu le faire un certain nombre de romans, de bandes dessinées de la rentrée, voire de fictions jeunesse, le cru de beaux livres de cette fin d’année est marqué par les questions et les tensions qui traversent la société et le monde en général. "Nous vivons actuellement une urgence sociétale et les éditeurs de beaux livres, au même titre que les autres, ont une responsabilité à tenir ; notre format permet d’aborder beaucoup de sujets et de prêter la force de l’image à un certain nombre de valeurs ou problématiques", explique Fabienne Kriegel, directrice du Chêne. Après avoir édité l’an passé, en réaction à l’attentat de Charlie Hebdo, Rien à déclarer ? Si ! Les droits de l’homme, la maison publie Déclaration universelle des droits de l’humanité illustrée, Corée du Nord : plongée au cœur d’un pays totalitaire, un voyage dans les entrailles d’un Etat aux multiples contradictions.
L’intérêt pour les caricatures qui ont connu l’an passé un considérable succès ne s’est pas essoufflé. Pour les 10 ans de Cartooning for Peace, réseau international de presse qui défend la liberté d’expression et le vivre-ensemble, Plantu introduit un beau recueil, Le dessin de presse dans tous ses Etats (Gallimard), tandis que Bertrand Tillier signe Caricaturesque : la caricature en France, toute une histoire… de 1789 à nos jours chez La Martinière qui édite aussi Siné, l’œil graphique de François Forcadell. Plusieurs recueils posthumes rendent hommage aux dessinateurs de Charlie Hebdo. Glénat fait revivre Wolinski avec une sélection de ses textes, dessins et BD dans Le bonheur est un métier, Luz préface Charb dans "Charlie", l’anthologie aux Echappés qui publient aussi Cabu s’est échappé !, introduit par Bertrand Delanoë, quarante-cinq ans d’histoire revisités par le regretté dessinateur.
Plus largement, en hommage aux victimes des attentats de Paris paraît No more, nos morts (Critères), carnet de photographies de l’artiste Férial. En réaction au 13 novembre, Nathalie Rheims, après le succès du Père Lachaise : jardin des ombres, revient chez Michel Lafon pour "réenchanter" la Ville lumière avec La mémoire des squares : sur les traces des fantômes de Paris. Un bel ouvrage mêlant balade littéraire et document historique. Les éditions du Sous-sol proposeront dans le cadre du festival Paris en toutes lettres une soirée Letters Live au théâtre des Bouffes du Nord, spectacle inspiré du livre Au bonheur des lettres de Shaun Usher dont le tome 2 est paru début octobre. Les recettes de la soirée seront reversées aux familles des victimes du Bataclan.
Attaqué, Paris est plus que jamais au cœur d’albums photographiques qui magnifient et restituent les spécificités de la capitale. Paris, capitale de toutes les ferveurs (Magellan & Cie) révèle le patrimoine multiculturel parisien, Métro-Paris-photo (Actes Sud) souligne les liens étroits entre la photographie et le métro parisien, alors que Paris (Louis Vuitton) fait découvrir la beauté des lieux à travers l’œil du célèbre photographe Jeanloup Sieff disparu en 2000. L’éclat de la ville se reflète dans Paris et ses lumières de Philippe Saharoff (Chêne) comme dans Paris light lumières (éditions du Mécène) tandis que Bruno Fuligni se fait nostalgique avec un coffret Paris, la Belle époque en relief : 1880-1920 et Christian-Louis Eclimont célèbre la ville en chanson avec Si Paris m’était chanté (Gründ). Plus sombre, Paris : lumière noire (La Martinière) de Michel Setboun plonge le lecteur au cœur des rues parisiennes, construit comme un polar photographique. Les illustrateurs se penchent aussi sur la capitale comme Dominique Corbasson qui prête son coup de crayon à Joli Paris (Milan et demi). Quant à la question des religions, qui a traversé les débats tout au long de l’année, elle est traitée par Roger-Pol Droit dans Les religions expliquées en images (Seuil), tandis que Citadelles & Mazenod traverse les Architectures sacrées de toutes les confessions.
L’international illustré
Le cru 2016 de beaux livres ressemble aux pages d’un magazine, qui réserve une belle place à l’actualité internationale. Le Grand Palais prépare avec le Louvre pour le 14 décembre une exposition "Sites éternels, de Bâmiyân à Palmyre" sur les sites du patrimoine universel menacés par les conflits en Afghanistan et au Moyen-Orient, mais aucun livre n’est annoncé pour le moment. Skira, qui s’est réimplanté cette année en France, se penche sur la Libye en publiant le saisissant reportage photographique de Narciso Contreras, prix Carmignac du photojournalisme, tandis que la petite maison marseillaise Le Bec en l’air offre une vision artistique et documentaire de la question des exilés avec Les absents. L’exil est aussi au cœur de l’ouvrage du journaliste Christophe Rouet qui se penche sur l’histoire d’un peuple dans Les pieds-noirs (De Borée). Autre point de vue sur la guerre d’Algérie, 1954-1962, Regard sur l’Algérie (Gallimard) présente des photos prises par des soldats, avec une préface de Benjamin Stora qui signe par ailleurs chez Larousse C’était hier, en Algérie, où il met notamment en valeur les rapports pacifiques qu’entretenaient à l’époque les différentes communautés. Au Diable vauvert, Chibanis, la question réunit 62 portraits réalisés par le photographe Luc Jennepin, de chibanis et chibanias, premières générations d’Algériens, de Marocains et de Tunisiens venus en France pour répondre à la demande de main-d’œuvre. Natif de Tunis, Serge Moati s’est intéressé, avec l’historien d’art Edwart Vignot, à la fascination qu’a pu exercer l’Orient sur les peintres dans Rêves d’Orient annoncé chez Place des Victoires. Plusieurs titres donnent à réfléchir plus généralement à l’avenir de la planète et de sa diversité : depuis le travail photographique d’Anne de Vandière auprès des petites tribus menacées, Tribus du monde (Intervalles) jusqu’à Fleuve et frontières : la guerre de l’eau aura-t-elle lieu ? de Franck Vogel (La Martinière) en passant par 4 degrees art, dans lequel la revue d’art Hey (Ankama/619) laisse carte blanche à 102 artistes de 20 pays qui réagissent aux problématiques environnementales. Autre façon de s’impliquer dans la société, certains éditeurs mettent en lumière le travail d’associations qui viennent en aide aux populations à travers le monde. Avec Les pépites, dont la parution accompagne la sortie d’un documentaire sous le même titre, Albin Michel sort de l’ombre l’histoire des enfants chiffonniers de Phnom Penh, un témoignage bouleversant porté par l’ONG Pour un sourire d’enfant. Eric Fottorino signe la préface des Enfants de l’ovale (Alternatives) du nom de l’association créée par le joueur de rugby Philippe Sella qui aide des jeunes défavorisés grâce à l’apprentissage de ce sport. La situation intenable des populations syriennes trouve un écho dans Desseins de guerre : des enfants syriens prennent le crayon (Lemieux éditeur) fruit du travail de l’organisation française Khala.
Au féminin pluriel
Engagé aussi, Femmes d’Azerbaïdjan, chez Favre, analyse la société de ce petit pays chiite par le biais de la place accordée aux femmes. Plusieurs titres en cette fin d’année tentent de rendre à la moitié de l’humanité la place qu’on ne lui a pas accordée et met en lumière sa représentation à travers les siècles. En peinture, les éditions des Falaises s’intéressent aux Pionnières, femmes et impressionnistes, tandis que Mélanie Gentil retrace dans Femmes artistes (Palette…) l’affirmation des femmes dans le monde de l’art au fil des siècles, thème qu’aborde aussi Catherine Lopès-Curval dans Femmes d’artistes, femmes artistes (Antoinette Fouque). En cinéma, Antoine Sire décrit Hollywood, la cité des femmes (Actes Sud) alors que Ouest-France décrypte la représentation féminine dans la publicité avec Belles de pub. Des icônes de femmes indépendantes seront mises à l’honneur, de Madame avant-garde : Helena Rubinstein (Cherche Midi) à Coco Chanel chez L’Imprévu avec une biographie illustrée signée Megan Hess ou encore chez Flammarion avec un portrait Chanel, l’énigme par Isabelle Fiemeyer. Au rayon histoire, une exposition au musée Lambinet (Versailles) accompagnée d’un catalogue chez Gourcuff Gradenigo Amazones de la Révolution permet d’envisager la Révolution française par le prisme de la participation féminine. Textuel s’intéresse aux Mauvaises filles : incorrigibles et rebelles et présente 20 portraits de femmes rebelles, de 1850 à 1980, décrites par la société comme hystériques, voleuses ou encore vagabondes, tandis que L’Iconoclaste plonge comme à son habitude dans les Archives nationales pour concocter Présumées coupables, sur la partialité sexiste des procédures judiciaires avec une préface d’Elisabeth Badinter. Cette enquête passionnante donnera lieu à une exposition aux Archives nationales, du 29 novembre au 27 mars 2017.
Un positionnement complexe
Plus que jamais donc, la production de beaux livres est en prise avec l’actualité, y compris, naturellement avec celle de la culture. Une démarche volontariste des éditeurs afin de s’assurer une médiatisation de leur ouvrage. Cela passe bien sûr par les catalogues d’exposition parmi lesquels on signalera Oscar Wilde fabul(l)eux par Patrick Chambon chez Hazan en lien avec "Oscar Wilde, l’impertinent absolu" au Petit Palais, le catalogue des éditions du Centre Pompidou consacré à Magritte ainsi que le magistral Magritte de Citadelles & Mazenod (qui réalise par ailleurs Les vélins avec le Muséum national d’histoire naturelle, livre d’exception vendu 430 euros), les livres accompagnant la rétrospective Bernard Buffet au musée d’Art moderne de la Ville de Paris, les nombreux titres autour d’Hergé au Grand Palais ou le catalogue de l’exposition à la fondation Vuitton sur la collection Chtchoukine : Icones de l’art moderne (Gallimard). "Je pense que le beau livre, détaché de tout contexte, aujourd’hui devient très compliqué à positionner sauf dans les rayons pratique, explique Line Karoubi qui dirige le département livres illustrés de Gallimard. S’accrocher à quelque chose qui relève de l’actualité ou même, si je n’aime pas l’expression, de "l’air du temps" me semble bénéfique pour amener les lecteurs à nous." Les anniversaires sont ainsi l’occasion de multiples parutions. Cette année on célébrera les 100 ans du Canard enchaîné avec un beau livre au Seuil et une bande dessinée L’incroyable histoire du Canard enchaîné aux Arènes. Les 25 ans de la mort de Freddie Mercury donne lieu à une belle biographie illustrée du leader de Queen chez Place des Victoires. Le centenaire de la mort de Jack London génère de nombreuses parutions dont deux beaux livres : l’un Jack London, l’appel du grand ailleurs par Olivier Weber chez Paulsen, l’autre, Les vies de Jack London par Michel Viotte, une coédition La Martinière-Arte éditions. Pour les 40 ans de la maison de couture Agnès B., Florence Ben Sadoun a rédigé un beau livre illustré, Agnès B. (La Martinière), alors que pour les 75 ans de la maison d’édition de disques de Miles Davis, Frank Sinatra, des Beatles, ou de Coldplay, Taschen a prévu un ouvrage collectif en "XL", Les 75 ans de Capitol Records. L’actualité commémorative permet de plus une remise en lumière des thèmes classiques aussi divers que les Triptyques de Jérôme Bosch présentés au Chêne à l’occasion du 500e anniversaire de sa mort ou Les explorateurs belges (Mardaga) à l’occasion du 400e anniversaire de la découverte du cap Horn.Enfin, à défaut de s’insérer dans une actualité, les éditeurs créent l’événement en s’adjoignant une personnalité qui défendra les livres dans la presse. Ainsi le journaliste François Busnel, qui prépare un jeu, La boîte de La grande librairie (Marabout), livre Mon Paris littéraire chez Flammarion, où il recense les librairies indépendantes parisiennes, mentionne les bistrots, jardins, maisons d’auteurs, bouquinistes ou bibliothèques propices à la lecture. Edwart Vignot continue à convoquer des célébrités pour parler d’art et réunit Guillaume Gallienne, Marianne James ou Nikos Aliagas dans Une pensée pour Rodin (Place des Victoires). Et toute la famille Delerm se mobilise pour la fin d’année : les parents, Martine et Philippe, pour Secrets d’albums au Seuil, et le fils, Vincent Delerm, avec Songwriting chez Actes Sud où il parle… de son grand-père.
EPA renforce son identité
Jérôme Layrolles, ancien directeur d’une agence de communication événementielle, passé chez Didier et Marabout avant d’intégrer le Chêne en 2011 au contrôle de gestion, a pris la tête début mars de EPA, et ambitionne d’affirmer l’identité de la maison : "l’art de vivre au masculin".
Livres Hebdo - EPA semble indissociable du Chêne, quelle est la spécificité de sa ligne éditoriale ?
Jérôme Layrolles - Créées au début des années 1950, les Editions pratiques automobiles (EPA) ont, comme leur nom l’indique, inscrit leur ADN autour de publications liées aux voitures avec la collection "Votre" (Votre Citroën 2CV), puis "Votre voiture" (Renault 16) qui témoignaient déjà d’un attachement au beau livre. Au fur et à mesure, et particulièrement après son rachat par le Chêne en 1996, ses titres se sont ouverts à d’autres thématiques : transport, sport, alcool, objets de collection, charme, musique. C’est ce qui explique que la ligne éditoriale gravite autour de "l’art de vivre au masculin" même s’il serait un peu rapide de considérer que ces thèmes ne concernent que les hommes ! Avec le Chêne, nous partageons la vocation historique de proposer du beau livre illustré mais intervenons sur des rayons bien différents.
Comment comptez-vous faire évoluer la maison ?
Jusqu’ici, EPA était fondue dans le Chêne et donc dirigée par sa présidente Fabienne Kriegel. Même si nous allons continuer à travailler en étroite collaboration, mon arrivée à la tête d’EPA marque notre volonté de développer la marque et de renforcer sa propre identité. Il n’y a pas lieu de transformer la ligne éditoriale mais simplement de la renforcer et de la moderniser pour lui donner une plus grande envergure. Je vais continuer à capitaliser sur les deux fers de lance de la maison, les transports (voitures, avions, bateaux, etc.) et la musique, segment appelé à se développer. Parallèlement, je ne m’interdis pas de publier des livres qui ne soient pas illustrés. Nous venons de publier une biographie des Pink Floyd par Nick Mason.
Quels seront vos grands enjeux pour l’année prochaine ?
Il est un peu tôt pour vous répondre ! Nous aurons plus de titres à l’année. De 15 nouveautés nous passons à une vingtaine en 2016, et plus encore à l’avenir. Nous savons que sur la diversité des sujets que nous traitons, nous avons la légitimité et donc le lectorat. Je compte aussi imprimer ma touche personnelle ; nous préparons par exemple pour le printemps un beau livre sur les drones.
Trois principes en librairie
L’expérience de plusieurs libraires montre qu’il est possible et rentable de travailler le rayon beaux livres tout au long de l’année. A quelques conditions.
Peu médiatisé, volumineux, parfois onéreux, nécessitant de l’espace pour être mis en valeur : qu’il soit d’art ou plus généraliste, le beau livre représente un segment à risque pour les librairies. Or, comme l’explique Matthieu de Waresquiel, directeur général de Citadelles & Mazenod, "la bonne marche de notre activité dépend majoritairement de nos rapports privilégiés avec les librairies qui font le pari, dans un contexte économique pourtant difficile pour elles, de défendre notre production par tous les moyens". Pour réussir à maintenir un rayon de référence, quelques principes se dégagent.
Faire vivre les ouvrages
Chez Diane de Selliers, on a conscience d’une réalité : "Pour vendre nos ouvrages, on ne peut pas se contenter, comme avec d’autres formats, de les ranger dans des bibliothèques ou de les aligner en piles sur des tables, d’autant que leur taille ne le permet pas toujours." La principale problématique du beau livre repose en effet sur la nécessité de le mettre en lumière pour qu’il trouve son public. Au-delà des signatures et des rencontres, la tendance est de plus en plus à l’exposition. Ainsi, pour magnifier le nouveau titre de Diane de Selliers, La Bhagavadgita, la librairie Atout Livre (Paris 12e) lui consacrera en décembre une vitrine, mais aussi une exposition de reproductions de l’ouvrage. "Le but est de mettre en valeur son travail, mais il y a très clairement une visée commerciale avant Noël ; ce sont de très beaux livres, coûteux, il y a un enjeu économique important", explique Valérie Jouanne, responsable du rayon. Inaugurée il y a quelques années, cette mise en avant a déjà prouvé son efficacité. "L’année dernière, à la même période, nous avions organisé ce type de dispositif pour le Nicolas de Staël chez Citadelles & Mazenod, et les ventes étaient au rendez-vous." D’autant, comme le souligne la libraire, que ces coups de projecteur "rebondissent" sur tous les ouvrages qui gravitent autour du thème présenté.
Exploiter le fonds
"Même si les ouvrages en lien avec l’actualité sont ceux qui se vendent le plus facilement, un rayon beaux livres, ce n’est pas que des nouveautés ; c’est aussi un fonds qu’on s’emploie à faire vivre toute l’année", explique Paul Emmanuel Roger, de la librairie Mollat (Bordeaux). Le libraire s’emploie à raccrocher des titres anciens à des expositions en cours mais aussi à créer lui-même l’événement. Soit en mettant en lumière l’étendue du travail d’un éditeur en particulier - "je collabore régulièrement avec Textuel ou Phaidon" -, soit en imaginant des thématiques. "En été, je remets en avant des ouvrages auxquels je crois en fabriquant, par exemple, des mises en scène esthétiques autour d’un peintre : et ça fonctionne ! Le public est curieux, il faut le stimuler." A Nice, Jean-Marie Aubert met aussi un point d’honneur à travailler le fonds de beaux livres que propose la librairie Masséna en "maintenant un rayon très riche tout au long de l’année, sans "déstocker" en janvier". L’ancien gérant de la librairie du Louvre, constatant que, hors actualité, le choix d’ouvrages proposés chez ses collègues et "même à la Fnac" ne cesse de s’appauvrir, en a même fait une stratégie. "C’est très frustrant d’avoir des demandes auxquelles on ne peut pas répondre. On perd des clients potentiels qui sont de passage. La richesse de mon fonds est un investissement, mais c’est aussi ce qui me permet d’effectuer pas mal de ventes."
Oser
Dans la vitrine de la librairie Lardanchet (Paris 8e), spécialisée dans les beaux-arts et les livres anciens, les ouvrages phares du moment cohabitent harmonieusement avec des nouveautés plus confidentielles. "Comme tout le monde, nous proposons des titres portés par l’actualité culturelle mais, pour se différencier, il faut aussi oser présenter des projets plus rares", explique Thierry Meaudre, le gérant des lieux. Le libraire a fait le choix, avec sa collaboratrice Sarah Valiant, de lancer il y a deux ans dans sa boutique, pourtant résolument tournée vers les arts classiques, un rayon "culture urbaine". "C’est un risque, mais cela participe de notre vocation, il faut s’adapter et oser présenter des choses que notre clientèle n’attend pas forcément." Jean-Marie Aubert, lui, a fait le pari de vendre dans sa librairie des livres autoédités par des artistes loin de l’amateurisme. "En ce moment, j’ai par exemple en rayon le travail d’un photographe, Kares Le Roy, qui a effectué un périple entre la Turquie et la frontière chinoise à la rencontre des nomades, raconte le libraire. J’y crois et je sais qu’il a une chance de séduire mes clients."