C’était la dernière librairie de France spécialisée dans les livres audio. Fondée en 2005, La Compagnie du chat noir, à Clermont-Ferrand, baisse définitivement son rideau fin novembre. "Nous fermons parce que le téléchargement de livres audio a pris énormément d’ampleur. Le CD est en voie de disparition", explique le gérant de l’établissement, Denis Ubert. Avant La Compagnie du chat noir, deux autres librairies physiques spécialisées, Mots et merveilles et Livraphone, situées à Paris, ont elles aussi mis la clé sous la porte entre 2015 et 2017, mais elles ont poursuivi leur activité en ligne. Edgar Haddad, chez Mots et merveilles, s’est lancé dans la vente par correspondance. Tandis que l’ancien gérant de Livraphone, Antoine Mathon, s’est maintenu dans le milieu en tant qu’éditeur de livres audio sur sa plateforme Sixtrid.fr, puis comme libraire sur Sixtrid.com où il commercialise par téléchargement environ 1 600 références en langue française. Aujourd’hui, assure-t-il, l’essentiel de ses revenus provient de l’édition de livres audio, pas de leur distribution. "Face à l’arrivée d’Audible, les autres plateformes de téléchargement ont la vie dure", indique le patron de Sixtrid.com.
Achat de droits
Audible est sur toutes les lèvres dans ce secteur. Lancée en 2005 avec France Loisirs, cette plateforme de téléchargement a été rachetée par Amazon en 2011. Le service propose un abonnement à 9,95 euros par mois et dit enregistrer "une forte augmentation du nombre d’abonnés" depuis mars 2016, moment où le site "a bénéficié d’un vrai budget pour relancer le service", explique Constanze Stypula, responsable d’Audible France. Présent au salon Livre Paris, pour la première fois, Audible a lancé une importante campagne de publicité, notamment dans les transports publics. "Ils ont investi plus que ce qu’un éditeur seul pourrait se permettre. Et il faut admettre que cela contribue à la visibilité de masse du livre audio", estime de son côté Valérie Lévy-Soussan, P. D-G d’Audiolib. La plateforme de téléchargement ambitionne d’étoffer son catalogue et multiplie pour ce faire l’achat des droits d’exploitation des livres audio. Avec un catalogue de 6 500 références, Audible veut atteindre les 10 000 titres en 2018, "soit une croissance de 30 % par an", souligne Constanze Stypula.
Cette stratégie dessine une nouvelle concurrence dans le secteur. L’irruption fracassante d’Audible est suivie par d’autres acteurs déjà installés sur des marchés plus mûrs du livre audio comme l’américain, le britannique et l’allemand. En 2018, Rakuten Kobo, le fabricant de la liseuse de la Fnac, mais aussi Bookchoice, le site néerlandais présent aux Pays-Bas, au Royaume-Uni et en Espagne, seront les nouveaux arrivants. Le directeur de contenu de Bookchoice, Nathan Hull, défend une "nouvelle forme de divertissement" avec un "club de lecture" qui propose 8 titres par mois à ses membres. "Contrairement à d’autres plateformes de téléchargement, nous offrons à nos éditeurs de produire les versions audio de leurs livres mais nous restituons les droits d’exploitation après une courte période d’exclusivité", met en avant Nathan Hull. La plateforme assure avoir signé des "contrats de licence" avec une dizaine d’éditeurs en France pour une cinquantaine de titres.
Côté made in France, le site de téléchargement Book d’Oreille, dont le siège se situe à Lille, explore encore une autre voie. Face à la force d’acquisition de droits d’Audible, le site préfère croquer des parts de marché ailleurs, en bibliothèque et dans le milieu de l’enseignement notamment. Il lance en 2018 Bibliostream : un service de prêt de livres audio dématérialisés, une initiative déjà mise en place dans le réseau de librairies municipales à New York. Book d’Oreille propose aux médiathèques de réaliser des acquisitions de droits de prêt "sur mesure", selon leurs besoins et leur budget. "Nous ne voulons pas de système d’abonnement ni de contenus packagés. Nous souhaitons laisser le choix aux clients pour qu’ils adaptent notre offre à leurs besoins", déclare Olivier Carpentier, fondateur de Book d’Oreille. Le libraire numérique multiplie en parallèle des partenariats avec les nouveaux éditeurs, également plus nombreux.
Tandis qu’Editis étudie un projet de maison de livres audio qui pourrait voir le jour en 2018, le groupe Actes Sud a déjà lancé le 1er novembre ses trois premiers titres audio. L’éditeur cédait jusqu’à présent les droits audio de ses ouvrages à différentes maisons spécialisées comme Audiolib ou Thélème, mais il a décidé de lancer cette "phase de test à un moment où ça bouge plus que d’habitude dans le secteur", fait valoir Mathieu Raynaud, responsable du numérique chez Actes Sud. "La croissance du marché aux Etats-Unis et les différentes études réalisées en France [voir encadré page précédente] nous ont poussés à y prendre part." En produisant ses livres audio, la maison les exploite à souhait "mais les rend aussi plus disponibles", insiste Matthieu Raynaud. "Audible reste un partenaire commercial en tant que libraire. Mais nous ne l’envisageons pas comme un partenaire de cessions exclusives".
Numérique
Chez Actes Sud, les premières publications audio présentent "un petit panel représentatif", juge le responsable du numérique : un CD tiré du catalogue de Rivages, Sucre noir de Miguel Bonnefoy, puis deux disques d’Actes Sud, L’enfant qui de Jeanne Benameur et Millénium 5, la fille qui rendait coup sur coup de David Lagercrantz. Si les premières conclusions de cette "expérience" seront tirées "en janvier", Mathieu Raynaud formule déjà un premier constat, "la lourdeur du format CD". "Le temps passé sur la partie physique est disproportionné à tous les niveaux : fabrication, avis juridique… Alors que le numérique est plus en phase avec les attentes des usagers et ne demande pas de gestion du stock", explique-t-il. D’autres éditeurs comme Paule du Bouchet, responsable de la collection "Ecoutez lire" chez Gallimard, s’interrogent aussi sur cette problématique. "On envisage de produire une partie de la production en dématérialisé seul. Les coûts de production des CD sont très chers", annonce-t-elle.
Patrick Méadeb, chez Sonobook, n’édite plus sous forme de téléchargement depuis 2016. L’éditeur spécialisé en SF et documents, dont la production oscille entre 10 à 12 livres audio par an, fait 90 % de ses bénéfices dans le numérique. "Mon public est plus jeune, ce qui explique le nombre exponentiel de téléchargements, mais le format CD ne peut plus être lu par tous, ce support va disparaître petit à petit", assure l’éditeur. Pourtant, Patrick Frémeaux, chez Frémeaux et associés, leader dans la philosophie et les sciences humaines, ne se résout pas à voir disparaître le CD et pointe un potentiel déséquilibre financier si le secteur s’appuie uniquement sur le numérique. "Nous continuerons à soutenir ce format tant que l’industrie n’aura pas trouvé un support profitable en termes de marges de bénéfice. Aujourd’hui, le prix appliqué au format CD nous permet encore, tant bien que mal, d’amortir les coûts de production. Tandis que le marché du numérique est loin d’être substitutif au marché des librairies physiques", soutient Patrick Frémeaux. Le CD physique représente en moyenne 79 % du chiffre d’affaires de Frémeaux et associés, assure l’éditeur. Valéry Lévy-Soussan ajoute par ailleurs que le CD représente encore aujourd’hui une bonne idée cadeau. "C’est un support qu’on continue d’offrir. Et on l’observe notamment à Noël avec l’augmentation des ventes", soutient la directrice générale d’Audiolib.D’après l’étude "Les Français et les livres audio", réalisée par Ipsos pour la commission du livre audio du Syndicat national de l’édition, 35 % des "lecteurs" de livres audio se font prêter ou offrir un livre lu. Patrick Méadeb, chez Sonobook, cherche dans ce sens à diversifier l’offre. L’éditeur lance en novembre trois coffrets de livres audio à vendre en cartes USB. Dans chacune des cartes, deux livres audio. "On maintient ainsi l’intérêt du cadeau à offrir, mais on propose un format plus adapté aux appareils électroniques", soutient le patron de Sonobook. Encore une initiative pour gagner des voix.
Le livre audio en chiffres
Meilleures ventes : classique et zen
Les voix incarnées par Guillaume Gallienne et Fabrice Midal séduisent en grand nombre les amoureux du livre audio. Présent aux 1er, 4e, 6e et 20e rangs, l’acteur et réalisateur Guillaume Gallienne plonge l’auditeur dans les œuvres classiques tirées de l’émission de France Inter, "Ça peut pas faire de mal". De son côté, Fabrice Midal occupe également quatre positions (18e, 22e, 23e et 39e) avec ses ouvrages de méditation. Apprendre à se détendre en écoutant un livre audio semble d’ailleurs devenir une pratique populaire, les ouvrages de Christophe André (Méditer jour après jour : 25 leçons pour vivre en pleine conscience) ou de Miguel Ruiz (Les quatre accords toltèques : la voie de la liberté personnelle) parvenant à se faire une place tout comme les romans initiatiques de Raphaëlle Giordano, en 5e position avec Ta deuxième vie commence quand tu comprends que tu n’en as qu’une, et de Laurent Gounelle, à la 30e place, avec Et tu trouveras le trésor qui dort en toi.
Les œuvres contemporaines, et notamment celles qui ont dominé les meilleures ventes papier en 2016 et 2017, trouvent aussi leur public. Gaël Faye, Goncourt des Lycéens 2016 pour Petit pays, prends la deuxième marche du podium tandis que le dernier roman d’Harlan Coben, Intimidation, occupe le 11e rang.
On ne retrouve pourtant plus cette variété du côté des éditeurs, dont seuls quatre sont présents dans ce classement. Audiolib, leader du marché, place 36 livres lus, alors que Gallimard, avec sa collection "Ecoutez lire", inscrit 9 ouvrages. Radio France impose quatre livres audio et ADA se glisse une seule fois, au 44e rang avec, là encore, un livre de méditation.