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Dossier Nature et jardinage: le temps de l’engagement

Olivier Dion

Dossier Nature et jardinage: le temps de l’engagement

Porté par la permaculture et les nouvelles approches écologiques, le marché des livres de nature et de jardin attire un public renouvelé, plus jeune, plus urbain et désireux d’agir. Une préoccupation qui conduit les éditeurs à introduire du contenu plus philosophique et plus militant dans leurs ouvrages pratiques.

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Par Cécile Charonnat
Créé le 17.02.2017 à 00h32 ,
Mis à jour le 17.02.2017 à 10h25

Le bonheur est plus que jamais dans le pré, ou du moins au rayon des livres de jardin. Dopées par la préoccupation partagée par de plus en plus de consommateurs de manger sain, de soigner leur environnement et de faire venir la nature chez eux, les ventes du secteur ont progressées en 2016 de 6,3 %, d’après GFK. Une dynamique qui s’explique en outre, pour Elisabeth Pegeon, directrice éditoriale de Rustica, par une ouverture du segment due à un changement dans la "physionomie du public, qui est sans doute plus jeune mais qui a surtout envie d’action. Aujourd’hui, tout un chacun s’interroge sur sa place au sein de son environnement, sur sa relation avec la nature et sur sa marge de manœuvre personnelle. Et le jardin, ou même un rebord de fenêtre, un balcon ou une terrasse, constitue le premier endroit où on peut agir de suite."

"Avec l’arrivée d’un public plus jeune, plus urbain et moins dans l’expertise, le jardin redevient un sujet pour nous." Elisabeth Darets, Marabout- Photo OLIVIER DION

Si cette croissance se révèle bienvenue après une année 2015 atone qui avait laissé les éditeurs perplexes, elle ne se traduit pas de manière uniforme dans toutes les maisons. Ulmer et Artémis piétinent alors que Larousse, qui a retrouvé sa place de leader grâce notamment à une densification de sa production en 2016, Terre vivante, qui œuvre sur le jardinage bio depuis plus de trente ans, et Rustica, qui depuis trois ans réoriente son catalogue vers un public plus néophyte, se hissent au-dessus du marché. Un tel regain a décidé Marabout à opérer un retour en force sur le secteur. "Avec l’arrivée de ce public plus jeune, plus urbain et moins dans l’expertise, le jardin redevient un sujet pour nous", assure Elisabeth Darets. La directrice générale de la filiale d’Hachette a donc lancé une véritable offensive en publiant, le 15 février, trois collections, inédites ou entièrement remaniées. Spécialement étudiées pour le grand public, elles abordent des thématiques classiques et couvrent une gamme de prix allant de 6,95 euros à 15,90 euros. Retravaillée en profondeur, "Les nains de jardin" propose ainsi 100 fiches sur des sujets très simples (6 titres) ; la série Les cahiers du jardinier enseigne les premiers gestes d’apprentissage (5 titres) et "Un jardin en ville" a pour ambition d’implanter de la verdure, en ville comme à l’intérieur de la maison (2 titres). Cette production fournie s’enrichira de la réédition en avril de quelques coffrets, dont Green terrarium et Hôtel à coccinelles, et d’un ouvrage sur la permaculture, censé traiter le sujet dans sa globalité.

"Gardons les pieds sur terre va au-delà de l’aspect pratique et propose une réflexion et des pistes pour agir soi-même dans son environnement." Elisabeth Pegeon, Rustica- Photo OLIVIER DION

Permaculture

Contribuant largement au renouveau des lecteurs et à la dynamique des ventes, la permaculture continue d’alimenter largement les programmes éditoriaux. En 2017, la thématique est déclinée sous toutes les formes et associée à divers sujets. Ulmer publie en mars un Manuel de permaculture, doublé un mois plus tard d’un livre plus accessible, La permaculture au jardin. En février, Rustica complète sa gamme avec Créer sa micro-ferme en permaculture et inaugure "Nature in the city", une nouvelle collection pratique destinée à un public urbain et disposant de petits espaces, et qui accueille Permaculture en ville. Pour se différencier, Terre vivante a choisi d’accompagner ses deux titres, Mon petit jardin en permaculture (février) et Guide de la permaculture urbaine (avril), d’un "événementiel autour de la permaculture très riche composé de conférences et de vidéos afin de répondre à ce public citadin avide de se reconnecter à la nature et qui manifeste le besoin de reconquérir de l’autonomie alimentaire", précise Brigitte Michaud, directrice éditoriale de la maison iséroise.

Chez Larousse, qui ne disposait pas de titre spécifique sur le sujet, deux livres sont également programmés au premier semestre : un traditionnel Guide Larousse de la permaculture (mars) et Permaculture, le bon sens retrouvé (avril) signé du maraîcher bio Xavier Mathias. Comme chez Marabout, ce format plus proche de l’essai que du livre pratique dépasse le cadre du jardin et se teinte d’une "réflexion philosophique. Aujourd’hui, les jardiniers deviennent des militants, ils prônent des approches plus globales qui apportent du sens aux ouvrages et permettent de réfléchir au-delà du jardin", pointe Catherine Delprat. Audacieuse, la directrice éditoriale nature chez Larousse teste la formule "essai" sur deux autres sujets, l’agroécologie et l’intelligence animale (L’animal est-il l’avenir de l’homme ?, en avril).

Le sillon est également creusé par Rustica, qui commercialise pour la première fois une collection d’essais. "Gardons les pieds sur terre" (titre provisoire) se veut une "nouvelle ouverture du catalogue qui va, cette fois-ci, au-delà de l’aspect pratique et propose une réflexion et des pistes pour agir soi-même dans son environnement", indique l’éditrice Elisabeth Pegeon. Deux titres inaugurent la série au printemps : Inventer les jardins de demain et J’agis pour demain. Chez Terre vivante, la réflexion est également en cours et devrait aboutir en 2018.

Jardins en ville ou d’intérieur

Autre conséquence de cette transformation du public, la mode des jardins urbains et des mini-jardins reste vivace. Toujours attentif à ce sujet, Ulmer a publié en février Petits jardins actuels qui "renouvelle le genre du petit espace", assure Antoine Isambert, directeur de la maison. S’adressant carrément aux hipsters pour les "caresser intelligemment dans le sens du poil", Philippe J. Dubois, qui dirige Delachaux et Niestlé, propose en mars Le jardin DIY, un pas-à-pas traduit de l’anglais. Déclinaison miniaturiste et décorative de cette tendance, le thème des terrariums et autres micro-jardins d’intérieur s’est également installé et fait l’objet d’une offre éditoriale multiple, notamment chez Larousse. "La maison végétalisée constitue certes une niche mais qui va tenir", pronostique Catherine Delprat, qui finalise pour la fin de l’année des projets autour de la décoration par les plantes d’intérieur. Dans la même veine, le Rouergue a programmé en octobre Les plantes et la maison, un ouvrage d’inspiration "chic et urbain au charme fou pour décorer la maison grâce aux plantes", promet l’éditrice Nathalie Démoulin. Encore plus confidentielle, la niche de l’aquaponie, qui consiste à allier pisciculture et culture potagère, sera explorée cette année par Rustica et les éditions de Terran qui, sous la houlette de leur nouveau propriétaire, le groupe éditorial Piktos, ont connu en 2016 un sérieux, et indispensable, rajeunissement de leur ligne graphique.

Parallèlement à cette production en quête d’innovations, les ouvrages traditionnels, comme les bibles ou les encyclopédies familiales, se maintiennent. Entièrement rénové, le guide Truffaut, publié par Larousse, s’est écoulé en 2016 à plus de 12 000 exemplaires, estime GFK, et a fortement contribué à la bonne tenue de la maison. S’appuyant à nouveau sur la marque, Catherine Delprat commercialise fin février un nouveau concept qui se veut le "Simplissime du jardin", lance l’éditrice. Série de réalisations de compositions ou de jardins détaillées en pas-à-pas, 100 projets jardin inratables a d’abord été pensé par le biais de sa maquette, "une démarche assez rare en jardin où les livres restent avant tout dominés par le contenu", indique Catherine Delprat. Ce ballon d’essai devrait être suivi, si les ventes sont au rendez-vous, d’autres "inratables".

Portés par la grande exposition "Jardins", organisée par la Réunion des musées nationaux (RMN) au Grand Palais du 15 mars au 24 juillet et qui retrace l’histoire des jardins de la Renaissance à ceux de demain, les livres de paysagistes connaissent également une belle actualité au printemps. Ulmer publie Tout est jardin, un beau livre dans lequel Eric Ossart et Arnaud Maurières reviennent sur 22 de leurs réalisations. La maison dédie également un livre au Jardin Plume, situé en Seine-Maritime, véritable alliage du flou et du net créé en 1997 par Sylvie et Patrick Quibel. De leur côté, les éditions Petit Génie, positionnées notamment sur le mariage des sciences humaines et de la botanique, rendront hommage en mai au paysagiste méditerranéen Ferdinand Bac dans un ouvrage de l’historienne et chercheuse Agnès du Vachat.

Nature et jardinage en chiffres

La nature en plein boom

 

L’écologie militante et le besoin de comprendre la nature et d’agir dopent les ventes des livres de nature, en progression depuis deux ans.

 

"Nous assistons à un vieillissement lent mais sûr du lectorat, mais surtout à un déplacement de son intérêt." Philippe J. Dubois, Delachaux et Niestlé- Photo OLIVIER DION

Longtemps très stable, le marché des livres de nature a enregistré pour la deuxième année consécutive une croissance significative. En 2016, les ventes ont bondi de 8,2 %, selon GFK. Une envolée qui ne doit toutefois pas masquer, comme au rayon jardin, un paysage plus contrasté. Les ouvrages ayant trait aux animaux marquent le pas et, chez certains éditeurs historiques tels Delachaux et Niestlé ou Plume de carotte, l’année 2016 s’est montrée plutôt atone. "Nous assistons à un vieillissement lent mais sûr du lectorat, mais surtout à un déplacement de son intérêt, analyse Philippe J. Dubois, directeur de Delachaux et Niestlé. On est passé d’un public qui avait besoin de découvrir et de connaître une nature très onirique à une prise de conscience vis-à-vis de cette même nature, vue désormais comme un élément de bien-être, et qui se double d’une envie de comprendre et de s’informer."

L’an dernier, le marché a en effet été principalement porté par "la percée des essais en agroécologie et en écologie militante, ce qui est nouveau", confirme Catherine Delprat, directrice éditoriale nature et jardins chez Larousse. A la pointe sur ce sujet, Thomas Bout, cofondateur de Rue de l’échiquier, constate depuis l’été "un sursaut des réassorts" sur des titres du fonds, tels Biomimétisme ou Permaculture, publiés respectivement en 2011 et en 2014 dans la collection "Initial(e)s DD". Pour accentuer la dynamique et "satisfaire un public étudiant volatil mais sensible à ces thèmes", l’éditeur basculera d’ailleurs une partie de ce fonds dans une collection de poche maison, disponible courant 2017.

Egalement très actif sur ces sujets, Actes Sud, qui fêtera cette année "trente ans d’édition d’art et de nature", creuse aussi le sillon en lançant deux nouvelles collections. La première, "Je passe à l’acte", est conçue comme un prolongement "pratique et agissant" de "Domaine du possible" et propose sur 64 pages des solutions "pour transformer les actions quotidiennes et avoir un impact sur l’environnement et la société", détaille Anne-Sylvie Bameule, qui dirige le département art et nature de la maison arlésienne. Elle sera inaugurée en mars avec quatre titres, dont un sur la création d’une Amap. La seconde collection, "Mondes sauvages", explorera le champ des relations de l’homme à la nature et développera la dimension animale du catalogue d’Actes Sud. Elle démarrera en septembre avec deux titres dont l’un dédié aux cachalots.

Renouvellement éditorial

L’envie d’agir constatée chez les lecteurs a également poussé Glénat à imaginer une nouvelle gamme de guides de découverte de la faune et de la flore. Enjeu de l’année pour la maison grenobloise, "Les clés nature" met l’accent sur l’aspect pratique et "donne des clés à ceux qui veulent s’impliquer, indique Sandrine Stefaniak, éditrice nature chez Glénat. Mais c’est aussi une façon de renouveler des sujets classiques et déjà beaucoup traités par ailleurs", comme pour les orchidées, qui sortira en mai dans ce nouveau format.

Le renouvellement du traitement éditorial constitue une stratégie partagée par bon nombre d’éditeurs. Engagé dans la bande dessinée et le roman graphique depuis 2016, Rue de l’échiquier poursuit le développement d’ouvrages strictement graphiques avec une déclinaison du personnage de Renard à vélo destinée aux enfants. Une voie dans laquelle s’engage également Philippe J. Dubois, qui promet l’arrivée chez Delachaux dans les prochains mois "d’un gros projet de documentaires graphiques au traitement humoristique". Pour Plume de carotte, le renouvellement et les leviers de croissance passent par l’accroissement de partenariats aux formes multiples, un modèle qui constituait "autrefois des bonus et qui fait désormais partie du modèle économique de la maison". Pour son directeur, Frédéric Lisak "la librairie, qui reste indispensable, ne suffit toutefois plus pour assurer la visibilité et les ventes de nos livres". L’éditeur accentue également le travail de promotion autour de ses ouvrages. Pour lancer deux petits titres iconoclastes écrits par le chercheur suisse Lucien Willemin, Fonce Alphonse et En voiture Simone!, l’éditeur organise en avril et en juin une série de conférences "quasi professionnelles".

Meilleures ventes : la lune menacée

Star incontestable du classement GFK/Livres Hebdo des 50 meilleures ventes de livres de nature et de jardinage, l’annuel Jardinez avec la Lune de Rustica a vu sa position de leader sérieusement attaquée en 2016. Les lecteurs ont quasiment autant acheté, à 4 000 exemplaires près, le guide familial anti-gaspillage publié par Thierry Souccar en mars, Famille presque zéro déchet : ze guide, qui fait une entrée fulgurante sur la seconde marche du podium. Plus globalement, les ouvrages d’écologie militante maintiennent leurs positions en classant dans le palmarès 11 titres, contre 13 en 2015, année record marquée par la COP 21. Le plaidoyer du réalisateur Cyril Dion, Demain, un nouveau monde en marche, commercialisé en novembre 2015 par Actes Sud, gagne ainsi 4 places pour s’installer en 3e position.

Autre pilier du secteur, le potager oppose également une bonne résistance avec une douzaine de références dans le classement, soit autant qu’en 2015. Mais il est lui aussi talonné par la permaculture, qui s’installe définitivement dans les meilleures ventes avec 8 ouvrages classés, du petit livre pratique (Découvrir la permaculture, Rustica, 11e) au manuel complet (La permaculture pour tous, Rouergue, 25e).

Mais la niche à surveiller pour la fin d’année reste le coffret. Encore relativement discret en nature et jardin, ce format place tout de même 4 modèles dans le palmarès et fait l’objet d’attentions très particulières, chez Larousse et Marabout notamment.

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