L'appétit grandit à mesure que la rentrée littéraire approche. Encore plus cette année peut-être, du fait d'un climat morose en librairie. Bonne nouvelle, les plats ont été soigneusement élaborés par les éditeurs, qui ont dévoilé leur menu plus tôt que d'habitude et ont commencé à travailler dès avril auprès des représentants, des libraires et de la presse. Les programmes ont été élagués, et la plupart des maisons ont veillé à concentrer leur production sur des auteurs confirmés et des valeurs sûres, misant aussi sur des découvertes triées sur le volet. Cette relative prudence, qui se veut gage de qualité, pourrait se révéler salutaire. Au total, 654 romans paraîtront entre août et octobre, contre 701 en 2010 (- 6 %). Seule la production de littérature étrangère augmente, avec 219 titres contre 204 l'année dernière. Les romans français connaissent un net reflux : 435 paraîtront entre août et octobre, contre 497 en 2010 (- 12 %). Avec 74 titres contre 85 en 2010 (- 12,9 %), les premiers romans subissent le plus fort recul. Ils ne sont plus un passage obligé de la rentrée, et certaines maisons n'en publient même aucun, comme P.O.L, Denoël, L'Olivier... A contre-courant, Léo Scheer en a programmé quatre, contre un en 2010. Et les éditeurs indépendants ne renoncent pas à la découverte, tels Arléa, Au Diable vauvert, Champ Vallon, Le Dilettante, Minuit, Luce Wilquin...
Pas de coupes franches dans les programmes, mais le recul global de la production de la rentrée française provient de l'allégement d'un ou deux titres dans les principales maisons, surtout en août et en septembre. Grasset et Stock publient chacun 9 romans français au lieu de 11. L'Olivier (3), Lattès (5), Héloïse d'Ormesson (2) ou P.O.L (4) en annoncent un de moins. Le Seuil passe de 14 titres, pour l'an passé, à 10. Chez Robert Laffont, seuls 3 romans français sont programmés, alors qu'ils étaient 8 précédemment. Flammarion, qui avait réduit sa rentrée 2010, affiche la stabilité avec 6 romans français estampillés « rentrée littéraire » et 10 au total sur août et septembre. Sabine Wespieser, qui comptait sur 6 romans au total (français et étrangers), n'en a retenu que 4 en raison des tensions du marché. Pourtant, Gallimard publiera 17 romans français, contre 15 il y a un an. Actes Sud, qui en fait paraître 11 contre 9, compense en ne proposant que 4 romans étrangers (6 en 2010).
CHASSÉ-CROISÉ
Les variations de chiffres s'expliquent aussi par le chassé-croisé de nouveaux acteurs et d'éditeurs qui passent leur tour. Bien occupée avec le succès du roman de Fred Vargas, Viviane Hamy attendra octobre pour publier ses prochains titres. Le Serpent à plumes estime ne pas avoir la taille suffisante pour prendre part à la rentrée cette année, et, faute de coup de coeur, Les Equateurs ne présenteront aucun roman. L'arrêt d'Anabet, la cession d'Alphée-Jean-Paul Bertrand à Pascal Galodé, qui a réduit la production, et la décrue de titres chez Lemanuscrit.com (1 en octobre, contre 5 en 2010) participent de la baisse globale. De plus, à l'heure où nous mettions sous presse, les programmes d'octobre de Fayard et Grasset n'étaient pas encore disponibles (3 titres chacun en 2010).
En revanche, il faut compter avec Pierre-Guillaume de Roux, qui a lancé en avril la maison qui porte son nom et publie quatre romans français entre août et octobre. En août paraîtront les premiers titres d'Alma, fondé par Catherine Argand et Jean-Maurice de Montremy, un premier roman et deux essais littéraires. La nouvelle collection de littérature française chez Buchet-Chastel, "Qui vive", menée par Sophie Bogaert et Eva Dolowski, ajoute trois titres à la production automnale de la maison. Ancienne directrice générale de Flammarion, partie chez Chanel, Danielle Nees revient vers l'édition avec sa propre maison, Genèse éditions, et un roman. L'éditeur Serge Safran, qui a lancé son propre label, sera présent avec un premier roman.
Si cette année les stars de la rentrée sont plutôt des écrivains étrangers (voir p. 84), plusieurs auteurs français suscitent d'ores et déjà de fortes attentes. Emmanuel Carrère (Limonov, P.O.L) sera sans conteste l'un d'eux, aux côtés d'Eric Reinhardt (Le système Victoria, Stock), Charles Dantzig (Dans un avion pour Caracas, Grasset), Lyonel Trouillot (La belle amour humaine, Actes Sud), Marie Darrieussecq (Clèves, P.O.L), Véronique Ovaldé (Des vies d'oiseaux, L'Olivier) ou Lydie Salvayre (Hymne, Seuil). Les récits autobiographiques de Charles Berling (Aujourd'hui, maman est morte, Flammarion) et de Melvil Poupaud (Quel est mon nom ?, Stock) ne passeront pas inaperçus. En littérature étrangère, on guettera les romans de Paul Auster (Sunset Park, Actes Sud), Haruki Murakami (Belfond), David Grossman (Une femme fuyant l'annonce, Seuil), Jonathan Franzen (Freedom, L'Olivier), David Vann (Désolations, Gallmeister)...
Les lecteurs retrouveront également David Foenkinos (Les souvenirs, Gallimard), Jean-Paul Dubois (Le cas Sneijder, L'Olivier), Delphine de Vigan (Rien ne s'oppose à la nuit, Lattès), Mazarine Pingeot (Pour mémoire, Julliard), Yasmina Khadra (L'équation africaine, Julliard). Mais aussi Sorj Chalandon, qui livre, avec Retour à Killybegs (Grasset), une suite à Mon traître, Christian Oster (Rouler, L'Olivier), Hubert Haddad (Opium Poppy, Zulma), Patrick Delville (Kampuchéa, Seuil) ou Pavel Hak (Vomito Negro, Verdier). Stéphane Audeguy donne la parole à la ville éternelle dans Rom@ (Gallimard), et Sylvain Tesson est parti méditer Dans les forêts de Sibérie (Gallimard).
Quelques éditeurs vivront aussi la rentrée du côté des romanciers, tels Olivier Frébourg, directeur des Equateurs (Gaston et Gustave, Mercure de France), Daniel Arsand, directeur littéraire du domaine étranger chez Phébus (Un certain mois d'avril à Adana, Flammarion), ou Anne-Sophie Stefanini, éditrice chez Lattès, qui publie dans la maison son premier roman, Vers la mer. C'est aussi chez Lattès que Philippe Lançon, critique littéraire à Libération, publie son premier roman, Les îles. Pierre Vavasseur, journaliste au Parisien, écrit Deux enfants (Moteur). Colette Fellous, productrice à France Culture et directrice de la collection "Traits et portraits" au Mercure de France, écrit Un amour de frère (Gallimard). Enfin, Michel Quint dévoile les dessous de la Foire de Francfort dans Les amants de Francfort (Héloïse d'Ormesson).
Les chiffres de la rentrée littéraire depuis 2000
TRANSFERTS DE SAISON
Récoltant les fruits des efforts portés sur le domaine français depuis l'année 2000, Actes Sud attire un grand nombre d'auteurs venus d'autres maisons : Régine Detambel (Gallimard), Sylvain Coher (Agone), Hélène Frappat (Allia), Kaoutar Harchi (Sarbacane) et Marc Trillard (Phébus).
Mais Dominique Sigaud, dont les précédents romans ont paru chez Actes Sud, publie Franz Stangl et moi chez Stock, qui accueille aussi Stéphane Guibourgé (Le nom de son père), auparavant publié chez Flammarion. Auteur de trois romans parus chez Stock, Frédéric Teillard a confié L'unique objet de mon désir à Galaade. Lui aussi venu de Stock, Daniel Arsand arrive chez Flammarion (Un certain mois d'avril à Adana).
Auteure Gallimard, Valentine Goby donne Banquises à Albin Michel. Sabine Wespieser publie Nestor reprend les armes, le nouveau roman de Clara Dupont-Monod, jusque-là publiée chez Grasset. Simon Liberati, auteur Flammarion, donne Jayne Mansfield à Grasset pour la collection "Ceci n'est pas un fait divers". Et Sigolène Vinson, après deux romans publiés au Masque, livre chez Plon J'ai déserté le pays des braves.
LES TIRAGES SUPÉRIEURS OU ÉGAUX À 50 000 EXEMPLAIRES
Signe d'une prudence particulière, les forts tirages paraissant en août-septembre sont bien moins nombreux cette année, et les éditeurs comptent sur de rapides réimpressions plus que sur des mises en place élevées.
200 000 exemplaires
Amélie Nothomb, Tuer le père (Albin Michel)
120 000 exemplaires
Eric-Emmanuel Schmitt, La femme au miroir (Albin Michel)
70 000 exemplaires
Paul Auster, Sunset Park (Actes Sud)
60 000 exemplaires
Véronique Ovaldé, Des vies d'oiseaux (L'Olivier), Jonathan Franzen, Freedom (L'Olivier)
55 000 exemplaires
Haruki Murakami, 1Q84 (pour chaque tome) (Belfond)
50 000 exemplaires
Emmanuel Carrère, Limonov (P.O.L), David Foenkinos, Les souvenirs (Gallimard).
Pères, faits divers... et fins du monde
La variété des sujets des romans témoigne de la vitalité de l'imaginaire des écrivains. Mais quelques thèmes s'imposent, en écho aux bouleversements du monde. Et bien souvent, dans des vies singulières, apparaît le fil de la grande histoire.
Encore des histoires de famille ? Oui, car c'est un inépuisable sujet de roman. Mais cette année, plus que la mère, c'est le père qui constitue la figure centrale de plusieurs fictions et de récits autobiographiques. Dans La confusion des peines (Stock), Laurence Tardieu aborde enfin le sujet qui la taraude depuis de longues années, rompant le silence familial : la condamnation pour corruption de son père - cadre à la Générale des eaux - qu'elle adulait et la mort de sa mère dans la foulée. Pour répondre à la demande de son père, qui considère que sa vie est un roman, Ali Magoudi écrit la vie d'Abdelkader Magoudi, Un sujet français (Albin Michel), mêlant son existence singulière à l'histoire de l'Algérie de la première moitié du XXe siècle. Père et fils, Thierry et Charles Consigny dialoguent après la descente aux enfers du jeune homme de 20 ans, admis aux urgences à la suite d'une overdose (Le soleil, l'herbe, et une vie à gagner, Lattès). C'est un autre tête-à-tête, fictif cette fois, entre un père et son fils que décrit Brigitte Giraud dans Pas d'inquiétude (Stock) : un homme passe de longs moments auprès de son fils malade, un temps offert par ses collègues qui lui ont fait don de leurs jours de RTT. Laurent Seksik raconte l'histoire d'un garçon qui recherche l'affection d'un père brisé par la guerre, dans les années 1960 en Arizona (La légende des fils, Flammarion). L'histoire d'amour entre Vincent et Anna, imaginée par Stéphane Guibourgé, ne peut avancer que lorsque Vincent tente de retrouver Le nom de son père (Stock) et part sur les traces de cet ouvrier marocain exilé en France. A la mort de son père adoptif, l'héroïne de Rouge argile, de Virginie Ollagnier (Liana Levi), retourne au Maroc pour régler la succession et se replonge dans une très déroutante histoire familiale. C'est aussi la mort de son père dans un accident de voiture, après celle de sa mère et de son frère dans les mêmes circonstances, qui a mis Jean-Philippe Blondel sur la route lorsqu'il avait 22 ans, itinéraire qu'il raconte dans Et rester vivant (Buchet-Chastel). Pierre Vavasseur écrit comment, alors qu'il était enfant, sa mère l'a chargé de dire à son père qu'elle le quittait (Deux enfants, Moteur). Quant à Amélie Nothomb, son nouveau livre s'intitule Tuer le père (Albin Michel).
RUBRIQUE FAITS DIVERS
Parce qu'ils révèlent les bouleversements de la société, les faits divers inspirent toujours les romanciers. Morgan Sportès a reconstitué minutieusement l'enlèvement, la séquestration, la torture et l'assassinat d'Ilan Halimi, en 2006, par une bande de banlieue dont il décrit le parcours. Il présente son roman Tout, tout de suite (Fayard) comme "une autopsie : celle de nos sociétés saisies par la barbarie". En écho à cette terrible affaire, Gilles Martin-Chauffier décrit un drôle de Paris en temps de paix (Grasset), enquête d'un commissaire dans le 18e arrondissement où se heurtent communautarisme et modèle républicain. Vanessa Schneider, elle, s'inspire d'un fait divers survenu en 2008 à Gloucester aux Etats-Unis : 17 jeunes filles d'un lycée tombent enceintes en même temps. Dans Le pacte des vierges (Stock), elle imagine le témoignage que 4 d'entre elles acceptent de livrer à une journaliste. Se soumettant à l'antiphrase de la collection de Grasset "Ceci n'est pas un fait divers", Simon Liberati part de l'accident de voiture qui a causé la mort de Jayne Mansfield le 29 juin 1967 pour ausculter la vie de la star hollywoodienne. Le 24 mars 1999, l'incendie du tunnel du Mont-Blanc fit 39 victimes. Parmi elles, la mère et le père de Fabio Viscogliosi. Dans Mont Blanc (Stock), il reconstitue les circonstances de la mort de ses parents, le deuil, sa soudaine condition d'orphelin. C'est aussi cet incendie qui a inspiré à Eric Sommier son premier roman, Dix (Gallimard), dans lequel il imagine quelle a été la vie de Pierlucio Tinazzi, motard chargé de la sécurité du tunnel, qui avait réussi à sauver 10 personnes avant de périr.
APOCALYPSE NOW
La fin des temps est pour 2012, nous disent les Mayas. En attendant de voir si cette prédiction se réalise, la littérature se fait l'écho des catastrophes de ces dernières années. D'origine nucléaire, l'apocalypse a eu lieu dans Futur fleuve d'Emmanuel Rabu (Léo Scheer), où les humains se démènent pour survivre dans un monde dévasté et menaçant. Avant de disparaître, l'humanité est frappée par une épidémie qui transforme les gens en êtres bestiaux et extrêmement violents. Les personnages de Xabi Molia traversent la lutte entre survivants et infectés, les restrictions, les soupçons... (Seuil). La fin prévisible des réserves de pétrole a inspiré à Dalibor Frioux son premier roman, Brut (Seuil). Anticipant la pénurie, il dépeint la Norvège en paradis artificiel qui se détraque sous l'effet des richesses procurées par l'or noir. Le héros de Skoda d'Olivier Sillig (Buchet-Chastel), seul survivant d'un raid aérien, découvre au milieu des décombres un bébé survivant et se met en route avec lui. La fin du monde, les habitants de La Faute-sur-Mer ont bien cru la vivre lors de la tempête destructrice de février 2010. Yves Viollier raconte la tragédie de 4 familles dans La mer était si calme (Robert Laffont).
L'USINE DU MONDE
Délocalisations, chômage, management à la dure... font les grands titres de l'actualité. Les romanciers s'emparent des violents dérèglements provoqués par le règne de la finance et par la mondialisation. Très documenté, Eric Reinhardt a construit Le système Victoria (Stock) autour de deux mondes qui s'opposent : celui de Victoria, la DRH ultralibérale dont le boulot est de licencier sans états d'âme, et celui de David, maître d'oeuvre aux valeurs humanistes et sociales. Philippe Pollet-Villard imagine un entrepreneur fortuné qui, arrivé à l'âge de la retraite, part en Inde sur les traces de sa jeunesse et se retrouve face à son passé professionnel lorsqu'il y découvre les industries délocalisées d'Europe (Mondial Nomade, Flammarion). Presque comme dans le monde réel, La loi du plus fort règne dans le nouveau roman de Frédéric Chouraki (Denoël), comédie caustique où l'on trouve un patron tyrannique et néolibéral, des abus de pouvoir, les désillusions d'un cadre supérieur qui veut tout plaquer, des harcèlements... Bienvenue dans la vraie vie ! pourrait s'entendre dire le héros de Bernard Foglino (Buchet-Chastel), un trader qui vit en apnée dans la salle des marchés et imagine une société de recyclage de déchets au potentiel financier alléchant.
L'OMBRE DE LA COLONISATION
Ressurgie depuis quelques années avec des livres marquants sur les blessures enfouies de la guerre d'Algérie, la colonisation est prise à bras-le-corps par de jeunes romanciers, au premier rang desquels Mathieu Belezi, déjà remarqué pour C'était notre terre (Albin Michel, 2008). Avec Les vieux fous (Flammarion), il se met cette fois dans la peau d'un colon à la fin de la guerre d'Algérie et retrace toute l'histoire de la colonisation pour mieux la dénoncer. Confiné au Cameroun d'aujourd'hui, le héros des Mamiwatas de Marc Trillard (Actes Sud) vit, lui, le pourrissement des siècles de présence française en Afrique à travers l'Alliance française du Cameroun, qu'il dirige. L'art français de la guerre, premier roman d'Alexis Jenni (Gallimard), nous replonge notamment dans les guerres de décolonisation, en Indochine et en Algérie. Et si Michel Schneider raconte avant tout l'histoire de sa relation avec son frère dans Comme une ombre (Grasset), les souffrances issues de la guerre d'Algérie, dont Bernard est revenu fracassé, sont bien présentes dans son récit de la déchéance d'un homme qui finit par se suicider.
LA RENTRÉE NUMÉRIQUE 20 % MOINS CHÈRE
Signe de l'intensification de la politique numérique des éditeurs ces derniers mois, la plupart des grandes maisons proposeront en numérique l'essentiel de leur rentrée aux mêmes dates que les livres papier.
Les romans français sont concernés en premier lieu, les droits numériques pour la littérature étrangère étant plus difficiles à obtenir. Tous les titres de littérature française de Robert Laffont seront ainsi disponibles, à un prix inférieur de 10 % à celui du papier. Chez Gallimard, 80 % des ouvrages sont déjà prêts aux formats ePub et PDF, une proportion qui augmentera durant l'été. Les prix seront inférieurs de 15 à 20 % à ceux du papier. Eric Marbeau, responsable de la diffusion numérique, ajoute : « Nous mettrons à disposition des libraires pendant l'été, comme l'an dernier, des extraits d'ouvrages à utiliser comme ils le veulent. » Chez Albin Michel, toute la rentrée française sera en numérique, avec un différentiel de prix de l'ordre de 20 %. Flammarion prévoit de mettre en vente 20 % moins cher que le papier tous ses romans français, tout comme Actes Sud. Stock proposera la totalité de sa rentrée, française et étrangère, avec un rabais de 25 % sur le prix du papier.
Globalement, chez Hachette Livre, « la politique du groupe est de mettre en vente les ebooks en même temps que les nouveautés papier, précise Catherine Cussigh, directrice du développement, chargée du numérique et de l'international. Les process de numérisation sont désormais automatisés." Des extraits seront là aussi disponibles en avant-première.
Forte baisse des premiers romans français
Le nombre de nouveaux auteurs diminue encore, mais la parité hommes-femmes est presque atteinte. Hasard ou coïncidence, l'amour fait un retour en force parmi les thèmes en vogue.
Avec 74 premiers romans français, la rentrée littéraire 2011 accélère notablement la décrue enregistrée depuis quatre ans. Par rapport à 2010 et ses 85 premiers romans, la baisse est de 12,9 %. De manière générale, il n'y en avait pas eu aussi peu depuis 1998, année où 58 premiers romans étaient parus. A comparer avec les 34 publiés en 1993, les 102 de 2007 et surtout les 121 de 2004 ! Principale explication, beaucoup d'éditeurs qui ne publiaient que des premiers romans se sont abstenus. La plupart des grandes maisons restent au même niveau (Gallimard, Albin, Grasset, Julliard et Calmann-Lévy). Flammarion, qui n'avait pas présenté de nouvel auteur l'an passé, en propose un. A l'inverse, Stock, Le Seuil et Plon en comptent chacun un de moins et Lattès passe de quatre à deux. Si le niveau de production s'est plus ou moins maintenu chez les "gros", ce sont donc les petites maisons qui font la différence cette année. Afin d'éviter la déferlante d'août-septembre, certaines ont parfois publié dès mai-juin leurs premiers romans. Présentes en 2010 mais absentes en 2011, figurent notamment Michalon, Elan Sud, Philippe Rey, Le Temps qu'il fait, La Table ronde et Stéphane Million. Les femmes sont toujours moins nombreuses, mais à 35 contre 39, la parité est manquée de peu. Un contraste fort avec les années précédentes où la proportion était plutôt deux tiers d'hommes pour un tiers de femmes.
L'AMOUR TOUJOURS
Cette année, les premiers romans puisent largement leur inspiration dans les histoires d'amour, souvent impossibles. A l'image de celle imaginée par le journaliste Pierre de Vilno (Elvire et Jérémy, Héloïse d'Ormesson), où un homme et une femme s'aiment et se déchirent alors qu'ils sont d'ordinaire tous les deux attirés par des individus du même sexe. Valérie Perronet, dans Jeanne et Marguerite (Calmann-Lévy), retrace deux romances tragiques vécues par des héroïnes séparées par près d'un siècle. Pour leur part, les personnages de Myriam Thibault (Orgueil et désir, Léo Scheer) n'osent pas révéler leurs sentiments l'un pour l'autre de peur de faire montre de faiblesse. La complexité de la relation est au coeur de Va et dis-le aux chiens (Fayard) d'Isabelle Coudrier, dont les deux protagonistes nient la force de leur attachement au mépris de l'évidence. >Enfin, Isabelle Cros, dans Le guetteur (Gaspard nocturne), conte la déception amoureuse d'une femme qui s'est profondément trompée sur le caractère de son amant, pour lequel elle a abandonné sa passion de la danse.
Le deuil est le thème central de deux titres. Dans Les oiseaux de paradis (Joëlle Losfeld) Lisa Beninca se glisse dans la peau d'une femme qui tente de surmonter la disparition abrupte de son compagnon, tandis que dans Un garçon si tranquille (Le Cherche Midi) François Chollet nous convoque pour suivre le combat d'un homme déterminé à réhabiliter la mémoire de sa mère, emportée par un cancer du sein.
La guerre est une source d'inspiration toujours féconde : Dans L'art français de la guerre (Gallimard), Alexis Jenni revient sur les cinquante dernières années de l'histoire militaire de notre pays, marquées par la décolonisation, à travers un personnage de vétéran devenu peintre. Toujours chez Gallimard, Lilyane Beauquel, elle, a choisi de s'intéresser, avec Avant le silence des forêts, à la Grande Guerre en suivant les pas de quatre jeunes recrues idéalistes de l'armée allemande, au moment de leur arrivée sur le front en 1915. La Seconde Guerre mondiale est également à l'honneur : Gérard Landrot relate le quotidien d'une concierge parisienne sous l'Occupation (Tout autour des Halles, quand finissait la nuit, L'Editeur), quand Isabelle Blondet-Hamon dépeint l'univers concentrationnaire (Le ciel de Birkenau, Diabase).
DERRIÈRE LES BARREAUX
Autre univers clos et dangereux, dans une moindre mesure, la prison : Un lézard dans le jardin (Thierry Marchaise), d'André Agard rappelle un peu Vol au-dessus d'un nid de coucou de Ken Kesey, avec sa narratrice hésitant à se faire déclarer folle pour échapper à la prison. Ce monde à part est évoqué par un autre nouveau venu, Alain Guyard (La zonzon, Le Dilettante), dont le héros aux mauvaises fréquentations et qui donne des cours de philosophie à des détenus va faire une rencontre inattendue. Une trame semblable à celle de Val d'Absinthe (L'Aube) d'Anna Roman, où une femme mariée qui aide des prisonniers à intégrer un cursus universitaire va nouer un dialogue épistolaire troublant avec l'un d'eux.
Comme Vincent Almendros (Ma chère Lise, Minuit), un certain nombre d'auteurs s'intéressent à l'errance et au voyage initiatique. Anne-Sophie Stefanini (Vers la mer, JC Lattès) propose ainsi le récit d'une virée en voiture de Paris jusqu'à Nice entre une mère et sa fille de 18 ans. Dans Nos cheveux blanchiront avec nos yeux (Alma éditeur), Thomas Vinau s'attache à la quête de vérité d'un homme qui, des Flandres à l'Espagne, s'interroge sur la solidité de son couple.
Les relations familiales et leurs règlements de comptes parfois saignants reviennent d'année en année comme sujets de prédilection de nombreux premiers romans, et cette rentrée ne fait pas exception, ainsi que le prouvent Charles Consigny (Le soleil, l'herbe et une vie à gagner, Lattès), Geneviève Damas (Si tu passes par la rivière, Luce Wilquin) et Fanny Saintenoy (Juste avant, Flammarion). Enfin, Jean Turcat (Beigbeder m'a tuer, Jacques-Marie Laffont) et Annick Stevenson (Génération Nothomb, Luce Wilquin) se placent délibérément dans l'ombre des poids lourds du secteur, qui ont eux aussi un jour publié leur première oeuvre. En espérant obtenir le même succès ?
Les romans étrangers portent la rentrée
Dominée par les ouvrages de Jonathan Franzen, Haruki Murakami et David Grossman, la rentrée littéraire étrangère est cette année plus séduisante que jamais.
Une fois n'est pas coutume, c'est peut-être dans le domaine étranger que se situent les livres les plus attendus de cette rentrée littéraire. La quantité de romans et de nouvelles à paraître entre août et octobre est cette année supérieure à celle de l'année dernière (219 livres contre 204). Et si la prééminence de la langue anglaise (un peu moins de 50 % des traductions), n'est pas remise en cause, c'est la qualité de cette fournée 2011 qui laisse pantois.
De quels livres parlera-t-on plus que du Freedom de Jonathan Franzen (L'Olivier), d'Une femme fuyant l'annonce de David Grossman (Seuil) ou du colossal (deux tomes, 1 000 pages...) 1Q84 d'Haruki Murakami (Belfond) ? Franzen a eu sa bobine sur la une de Time Magazine, et Freedom, immense succès aux Etats-Unis, a confirmé après Les corrections qu'il incarnait bien la figure de grand romancier américain de ce temps, telle que la France en réclame depuis Hemingway... Idem, versant japonais, pour Murakami dont le 1Q84 (le troisième et ultime tome paraîtra au mois de mars prochain), réflexion désenchantée sur la société nippone en même temps qu'histoire d'amour, semble être un concentré magnifique de toute l'oeuvre. Enfin, le livre de David Grossman, écrit après la mort au front du fils du romancier, est annoncé comme un choc, aussi bien littéraire que moral.
Derrière ces trois "têtes d'affiche", on prendra garde à ne pas en oublier d'autres, dans le continuum de quelques-unes des oeuvres les plus appréciées par les lecteurs français. Il en va ainsi de Paul Auster et de son Sunset Park (Actes Sud), du nouveau gros roman historique d'Arturo Pérez-Reverte, Cadix ou La diagonale du fou (Seuil), du Pulsations de Julian Barnes (Mercure de France), du très impressionnant Sanctuaire du coeur de Duong Thu Huong (Sabine Wespieser) et de trois "sages" qui attendront octobre pour se mêler à ce pandémonium de rentrée : Philip Roth et Le rabaissement (Gallimard), Mario Vargas Llosa pour Le rêve du Celte (Gallimard) et, sur un registre plus "populaire", le nouveau Douglas Kennedy, Cet instant-là (Belfond).
TRANSFORMER L'ESSAI
Ce moment de la rentrée sera également crucial pour certains romanciers dont les premières oeuvres traduites en France leur avaient ouvert les voies du plus large succès et qui se trouvent devoir "transformer l'essai". Ce sera le cas des deux révélations de l'année dernière, prix Femina et Médicis, Sofi Oksanen et David Vann. La première publie Les vaches de Staline (Stock), un roman antérieur à Purge ; le deuxième revient avec Désolations qui fait suite à son magistral Sukkwan Island. Dans le même registre, on suivra avec attention le destin en librairie de Persécution (Liana Levi), le nouveau roman d'Alessandro Piperno, cinq ans après le sublime Avec les pires intentions, ou de Ce qu'on peut lire dans l'air (Albin Michel), qui permettra de retrouver Dinaw Mengestu après son livre très remarqué, Les belles choses que porte le ciel.
DES RÉVÉLATIONS À VENIR
Si les découvertes de Sofi Oksanen et David Vann avaient illuminé la rentrée 2010, quels seront leurs successeurs ? Si le principe des (bonnes) surprises est qu'elles doivent le rester, on se risquerait volontiers à miser une petite pièce sur la bonne fortune du Room d'Emma Donoghue (Stock), récit d'enfance d'une Canadienne inconnue en France et qui ne devrait plus le rester très longtemps. Comme on ne devrait plus non plus ignorer les noms de Stephen Kelman, dont le Pigeon anglais (Gallimard) vole magnifiquement entre le Ghana et l'Angleterre, ou du cinéaste Paolo Sorrentino, qui fait une entrée remarquée en littérature avec Ils ont tous raison (Albin Michel), récit fou de l'Italie en temps de berlusconisme. Signalons aussi chez Actes Sud un roman venu de Corée du Nord, Des amis, de Baek Nam-Ryong, qui a rencontré un grand succès aussi bien dans son pays qu'en Corée du Sud.
Enfin, au nombre des insolites intrigants de cet automne en terres étrangères, on signalera la publication de Savrola (Ecriture), un roman de jeunesse du prix Nobel de littérature 1953, sir Winston Churchill... Ou, dans un tout autre registre, de Palo Alto (Michel Lafon), un curieux roman de formation du "wonder boy" d'Hollywood, le très séduisant et doué James Franco.
GAVALDA, ENARD ET DESPENTES DANS LA RENTRÉE ÉTRANGÈRE
Vous écriviez ? Eh bien, traduisez (et préfacez) maintenant ! C'est pour répondre à cette injonction qui ne leur a pas été faite qu'Anna Gavalda, Mathias Enard et Virginie Despentes se retrouvent à nouveau à ce rendez-vous de rentrée.
Parce qu'elle pensait que Stoner de John Williams, publié une première fois aux Etats-Unis en 1965, était un chef-d'oeuvre méconnu, Anna Gavalda, avec la complicité du Dilettante, a entrepris de réparer l'oubli. Une traduction (libre) plus tard, et ce devrait être fait.
On savait Mathias Enard proche de la scène littéraire barcelonaise. C'est confirmé avec sa traduction du très intrigant Proust fiction, recueil de nouvelles de Robert Juan-Cantavella (Le Cherche Midi), qui se veut une réécriture des grands textes fondateurs, de Platon à Hunter Thompson !
Virginie Despentes, quant à elle, nous avait donné l'an dernier une traduction du brûlot moderniste post-punk de Lydia Lunch, Déséquilibres synthétiques (Au Diable vauvert). Ce livre est désormais réédité, comme Paradoxia, pour lequel l'auteure de King Kong Theory a écrit la préface.