Santé et bien-être

Dossier Santé et bien-être : on se reprend

Olivier Dion

Dossier Santé et bien-être : on se reprend

A côté d’un secteur bien-être dynamique mais encombré, le marché du livre de santé connaît un nouveau souffle grâce au désir du public de reprendre en main son corps et son esprit.

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Par Faustine Vincent
Créé le 23.10.2015 à 02h03 ,
Mis à jour le 23.10.2015 à 10h37

Difficile aujourd’hui de se faire une place dans le secteur du bien-être. Chez Eyrolles, arrivé récemment sur ce marché, la directrice générale Marie Pic-Pâris Allavena le reconnaît : "C’est un secteur très encombré. On redoute une surabondance d’ouvrages sur des thèmes identiques avec des contenus de plus en plus dégradés, à petits prix. En revanche, ajoute-t-elle, il y a encore une marge de manœuvre sur la santé". Porté par les nouvelles découvertes scientifiques dans ce domaine, le marché du livre de santé connaît un regain d’intérêt, attirant un public avide de connaissances et de plus en plus large.

"Les gens ont besoin d’être informés et de comprendre. C’est une façon de se réapproprier son corps et soi-même."Marie-Anne Jost-Kotik, First-Gründ-Tana - Photo OLIVIER DION

Le credo qui traverse la production éditoriale ? "Prenez votre santé en main !" Ce n’est pas un hasard si c’est aussi le titre du best-seller de Frédéric Saldmann qu’Albin Michel a vendu à 253 000 exemplaires. Echaudés par les scandales sanitaires, abreuvés d’informations contradictoires, méfiants envers les industries pharmaceutiques et agroalimentaires, les lecteurs veulent désormais s’emparer de leur santé pour en devenir acteurs. "Les gens ont besoin d’être informés et de comprendre. C’est une façon de se réapproprier son corps et soi-même. Cette tendance, qui signe l’évolution du rapport à soi et au monde, se décline tant en santé qu’en bien-être", résume Marie-Anne Jost-Kotik, directrice éditoriale aux éditions First-Gründ-Tana (Edi8).

"Comme beaucoup de gens pratiquent le yoga, les éditeurs y vont, mais quand on regarde les chiffres de vente on voit que la demande n’est pas si importante que ça."Anne Le Meur, Hachette- Photo OLIVIER DION

L’autre grand succès de l’année, Le charme discret de l’intestin de Giulia Enders confirme cet engouement pour des sujets ardus, que les auteurs s’appliquent à vulgariser. La meilleure vente de Marabout reste Ces glucides qui menacent notre cerveau de David Perlmutter. Sa directrice, Elisabeth Darets, y voit un regain d’intérêt pour "les textes fondamentaux permettant d’approfondir avec une approche plus scientifique". Leduc.s, qui revendique une croissance "à deux chiffres", mise d’ailleurs sur une approche globale de la façon dont fonctionnent les organes et les maladies avec Ma bible du corps humain.

"Il y a toute une veine de publications qui répondent à des angoisses contemporaines."Guillaume Dervieux, Albin Michel- Photo OLIVIER DION

Discours dissonants

Les ouvrages allant à l’encontre des discours dominants ont la cote. Michel Lafon revendique ainsi une "approche décomplexée" de la santé en publiant Votre santé : tous les mensonges qu’on vous raconte du professeur de microbiologie Didier Raoult, par qui est arrivé le scandale sur les alicaments. Paru en avril, le livre a profité d’une bonne couverture médiatique grâce notamment à la une du Point, dont il est un contributeur scientifique et s’est vendu à plus de 20 000 exemplaires. Suivant la même recette, Didier Raoult prépare un nouvel ouvrage pour 2016, dans lequel "il affirme qu’il n’y a pas de réchauffement climatique. Il va certes se faire attaquer, prédit Elsa Lafon, responsable éditoriale chez Michel Lafon. Mais c’est positif, on va parler du livre." Le Rocher fait également entendre un discours différent, tout en essayant d’orienter les lecteurs en mal de repères avec Vaccins, comment s’y retrouver ? d’Henri Joyeux. Dans un autre registre, l’auteure du Charme discret de l’intestin, Giulia Enders, faitde même figure de "rebelle" parce qu’elle "s’oppose à la médecine high-tech", explique Martina Wachendorff, son éditrice chez Actes Sud. Outre la singularité du discours, la crédibilité de l’auteur reste essentielle pour s’imposer dans le secteur. C’est pourquoi les éditeurs publient ces plumes reconnues qui leur permettent de se démarquer de la masse d’informations sur Internet, à l’instar de Jouvence qui programme le 6 novembre Et notre santé alors ? sous la signature d’un d’experts dont Corinne Lepage, l’ex-président de Greenpeace France François Veillerette et le chercheur Gilles-Eric Séralini.

Reprendre en main sa santé sans s’intoxiquer passe aussi par l’exploration des médecines alternatives et des remèdes naturels, qui sont plébiscités. Huiles essentielles, homéopathie, plantes et recettes de grand-mères séduisent le grand public. Guy Trédaniel, spécialiste des médecines alternatives depuis des années, a dû adapter ses contenus avec l’arrivée de ce nouveau lectorat. "Il accroît ses connaissances. Quand il en a assez des petits livres de vulgarisation, il peut trouver chez nous les fondamentaux qui répondent à sa demande de spécialisation. Si nécessaire, on retravaille avec les auteurs sur les gros livres indigestes afin de les rendre plus attrayants" explique le P-DG de la maison du même nom. Car, qu’il s’agisse de méditation, de respiration ou des médecines naturelles, "il n’y a rien de nouveau depuis quarante ans", souligne-t-il. Tout l’art consiste donc à aborder ces thématiques sous une nouvelle forme.

Les médecines douces plébiscitées

A la frontière entre la santé et le bien-être, tous les remèdes promettant de venir à bout du stress, à commencer par le coloriage qui tire toujours le secteur, trouvent un écho auprès du plus grand nombre. Leduc.s programme Albert-Claude Quemoun, docteur en pharmacie, qui promet de Guérir du stress et de l’anxiété par l’homéopathie (janvier 2016) tandis qu’Hachette Pratique fait fructifier sa gamme de livres de massages. "Elle fonctionne très bien", affirme la responsable éditoriale Anne Le Meur, qui veut désormais étoffer son catalogue de médecines alternatives avec "le do-in, la réflexologie et les plantes médicinales". La sophrologie et l’autohypnose ont aussi le vent en poupe. Avec Vive l’autohypnose ! de Jean-Michel Jakobowicz (Leduc.s), le lecteur a la possibilité d’écouter sur CD les séances audio ou de les télécharger en ligne, une astuce qui plaît aux adeptes. En revanche, le yoga, dont le nombre de titres donne le vertige, perd de la vitesse. "C’est un secteur très encombré, il faut donc trouver de nouvelles façons de le traiter", estime Marie-Anne Jost-Kotik. Un constat partagé chez Hachette Pratique, dont le Yoga sur chaise et Yoga de Mika de Brito ont eu des ventes décevantes. "L’année prochaine, on va faire une parenthèse. Comme beaucoup de gens pratiquent le yoga, les éditeurs y vont, mais quand on regarde les chiffres de vente on voit que la demande n’est pas si importante que ça", constate Anne Le Meur. Le succès de La magie du rangement de Marie Kondo (First) va en revanche faire des émules. Larousse prépare déjà un titre d’Elise Delprat sur le même thème - ranger à l’extérieur pour être mieux à l’intérieur.

Plus largement, "il y a toute une veine de publications qui répondent à des angoisses contemporaines", analyse Guillaume Dervieux, directeur général d’Albin Michel. Savoir comment s’alimenter sainement, loin de la malbouffe et des produits transformés vendus en supermarché, fait partie des priorités. Dans les rayons, cela se traduit par le succès des régimes détox, sans sucre ou sans gluten. Zéro sucre de Danièle Gerkens (Les Arènes) s’est vendu à quelque 20 000 exemplaires. Guy Trédaniel a opté pour un livre d’astuces et de recettes avec Détox gourmande. Une approche pratique que First-Gründ va décliner avec des recettes sans gluten dans sa nouvelle collection lancée en avril, "C’est bon pour moi".

Dans la même veine de l’alimentation santé paraît le Guide d’achat pour bien manger (First) de l’auteur star Jean-Michel Cohen. Cet ouvrage très visuel, comportant les photos des 500 principaux produits que l’on peut trouver en supermarché, "est déjà dans le top vente d’Amazon", se félicite Aurélie Starckmann. Directrice éditoriale au pôle pratique First-Gründ, elle revendique une progression de 15 % cette année sur la diététique et compte en faire un axe de développement pour l’année prochaine. Albin Michel fera de même, la thématique de la nutrition, portée par la méfiance envers l’industrie agroalimentaire, étant aussi un sujet phare à ses yeux.

Les régimes purs et durs, eux, sont délaissés. A l’ère post-Dukan, les privations dans le seul but de maigrir ne fonctionnent plus. Déçus par les ventes de leurs titres dans ce domaine, plusieurs éditeurs, dont Edi8 et Michel Lafon, comptent passer leur tour l’an prochain. A rebours des régimes traditionnels, La méthode Chopra pour perdre du poids, écrit par l’un des papes de la méditation, promet quant à elle de manger mieux pour reconnecter le corps et la tête. Un programme "corps-esprit" qui a valu à Eyrolles l’un de ses meilleurs succès cette année.

Son concept - méditer pour perdre du poids - résume à lui seul le nouveau défi auquel sont confrontés les libraires : l’emplacement des livres. "Les catégories ne sont plus forcément évidentes, observe Aurélie Starckmann. L’art-thérapie est un produit hybride entre le bien-être et les loisirs créatifs, tandis que la nutrition appartient à la fois à la santé et au bien-être." Sans compter les ouvrages mêlant développement personnel et philosophie ou spiritualité, jusqu’ici dissociés. Le secteur, en pleine évolution, bouscule les classifications traditionnelles dans les points de vente et invite les professionnels à les repenser.

La santé en chiffres

A la conquête de nouveaux lecteurs

 

Alors que le coloriage reste la valeur sûre du secteur, les éditeurs de bien-être explorent de nouvelles voies, en allant chercher des lecteurs de 7 à 77 ans.

 

"Les coloriages représentent 200 000 exemplaires vendus par mois tous éditeurs confondus. C’est énorme !"Catherine Delprat, Larousse- Photo OLIVIER DION

Le marché du bien-être a beau être très encombré, il continue de prospérer. Et ce, grâce au succès, toujours spectaculaire, des coloriages pour adultes. A fin août, ils s’inscrivent en progression à 110 % en valeur sur les huit premiers mois de l’année, selon GfK. Malgré un tassement en août à un an d’intervalle, "les coloriages représentent 200 000 exemplaires vendus par mois tous éditeurs confondus, note Catherine Delprat, directrice éditoriale chez Larousse. C’est énorme !" Surprise supplémentaire : "Toutes les formules marchent", assure-t-elle.

"Les seniors cherchent aujourd’hui des conseils pour rester jeunes et dynamiques. C’est un gros marché."Elsa Lafon, Michel Lafon- Photo OLIVIER DION

Les éditeurs ne se privent donc pas et les déclinent autant que possible. Hachette Pratique, qui fut pionnier sur cette thématique, compte aujourd’hui 120 titres dans sa collection "Art therapy", avec plus de 2 millions d’exemplaires vendus, et une page Facebook dédiée rassemblant 13 000 "fans". Au printemps dernier, la maison a lancé une nouvelle collection, "Les carrés d’Art-thérapie" vendus à 5,95 euros. Un choix guidé par la concurrence. "On était quatre en 2014 sur cette thématique, contre des dizaines aujourd’hui. On s’oriente donc plus vers des livres brochés à plus petits prix", explique Anne Le Meur, responsable éditoriale chez Hachette Pratique. De leur côté, Marabout (deuxième du secteur) diversifie en publiant un album de bébé à colorier, Larousse développe des cartes cadeaux avec des messages et de bonnes résolutions, Jouvence, des contes, et First, des cartes pop-up. "Je suis sûre que ce marché va continuer à exister, affirme Elisabeth Darets, directrice de Marabout. On en a besoin. Il faut accepter qu’il retombe peu à peu à des valeurs normales, lui redonner de l’exposition en librairie, car les coloriages sont un achat d’impulsion. " Flammarion, qui s’était mis sur les rangs en 2014, compte en revanche s’arrêter là. "Il y a trop de production, et ce n’est pas notre cible", justifie sa directrice éditoriale Aurèle Cariès.

Gratitude et bienveillance

Colorier pour décompresser, mais aussi se reconnecter à soi et au monde, c’est le credo du secteur cette année. "Il y a une prise de conscience de ce qu’on fait dans le monde, où l’autre a une vraie place. La gratitude et la bienveillance sont les deux mots clés de tous les livres de bien-être ressortant du lot", analyse Dorothée Rothschild, responsable éditoriale chez J’ai Lu. Le titre pharede la maison en 2015, Se changer, changer le monde, coécrit par les quatre auteurs stars Christophe André, Jon Kabat-Zinn, Pierre Rabhi et Matthieu Ricard, s’inscrit dans cette veine. Et Jouvence donne des clés pour se reconnecter à la nature avec Méditer dans la nature.

Après les attentats de janvier, Catherine Delprat (Larousse) était convaincue que "cela allait changer (sa) ligne éditoriale". En octobre, Larousse a publié Toutes les sagesses du monde, dont l’idée est de "célébrer la fraternité et de comprendre l’autre malgré les barrières ", selon l’éditrice. Jusqu’ici rejetée car perçue comme un thème "trop mou", la gentillesse reviendra aussi sur le devant de la scène à travers un dictionnaire sur ce thème, prévu en février. Pour sa part, Odile Jacob met en avant Les pouvoirs de la tolérance, paru en mai et qui vise, à travers des exercices pratiques, à "créer plus d’harmonie dans nos relations aux autres".

La bienveillance se décline aussi dans d’autres domaines, comme l’éducation positive, en plein essor, ou encore l’écologie, avec des ouvrages comme l’emblématique Zéro déchet, de Béa Johnson (disponible chez J’ai lu depuis mars), ou la collection créée en début d’année, "Domaine du possible", chez Actes Sud. Sur la forme, les Arènes innoveront en développant les thématiques santé et bien-être par la BD dès le printemps prochain.

Les seniors, marché à conquérir

En termes de public visé, les seniors pourraient bientôt occuper une place de choix. "Ils ne lisaient pas ce genre d’ouvrage avant, mais cela a changé, assure Elsa Lafon, responsable éditoriale chez Michel Lafon. Ils cherchent aujourd’hui des conseils pour rester jeunes et dynamiques. C’est un gros marché. " Elle veut donc renforcer ce secteur, qu’elle juge "peu exploré par les autres, ou pâtissant de publications un peu défraîchies".

Au-delà de ces grandes tendances, le format, le prix et l’auteur, plus que la thématique, restent déterminants. Les formats poches et petits prix se vendent toujours aussi bien, avec J’ai Lu en tête de liste - l’éditeur représente 26 % de part de marché sur le segment du bien-être en poche, selon GfK.

L’aspect extérieur des livres est lui aussi crucial. First l’a bien compris, qui troque pour la première fois le code couleur jaune et noir de sa collection "Pour les Nuls" pour du vert amande dans ses livres consacrés à la santé au naturel et à la psychologie positive. Jouvence a également relooké ses collections. "Les titres et couvertures doivent être modernes pour bien se vendre", souligne Catherine Delprat, directrice éditoriale chez Larousse, qui reconnaît avoir "une marge de manœuvre dans ce domaine".

Belle percée des nouveautés

Fait rare dans ce rayon du secteur santé et bien-être où le public plébiscite le fonds, les nouveautés font une entrée fracassante dans note palmarès annuel des meilleures ventes. Sur les dix premiers titres, cinq sont parus en 2015. Longtemps en tête de liste, Les quatre accords toltèques cède sa place au titre phare de l’année, Prenez votre santé en main ! de Frédéric Saldmann, talonné par Lecharme discret de l’intestin. En apparaissant à deux reprises dans le classement, Frédéric Saldmann confirme au passage son statut d’auteur star du secteur aux côtés d’Eckhart Tolle et de Christophe André (mentionné trois fois, un record). Au-delà du succès des nouvelles parutions, le fonds continue toutefois de faire vivre le secteur avec 34 livres publiés avant octobre 2014.

Reflet des préoccupations de l’époque, les trois meilleures ventes traitent toutes de sujets de santé, un segment éditorial en pleine effervescence. Le développement personnel et la méditation ont toujours la cote : huit titres y sont consacrés sur les quinze premiers. En revanche, les régimes marquent le pas : seuls trois ouvrages sur ce thème figurent dans le palmarès, et le plus vendu, Mincir sur mesure grâce à la chrono-nutrition, n’arrive qu’en 39e position.

Enfin, le format poche et les petits prix continuent de dominer le Top, mais de peu : 23 livres sont vendus, de 12,90 à 29,99 euros, signe de l’intérêt porté aux livres de référence et à forte pagination.

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