C’est le principe des vases communicants. Le marché des guides touristiques est affecté par une situation géopolitique toujours difficile au Maghreb, en Afrique subsaharienne et au Proche-Orient. Mais, alors qu’il se recentre sur l’Europe et les courts séjours en ville, Londres en tête, certaines destinations comme le Portugal ou les îles grecques connaissent une croissance unanimement perçue comme "phénoménale". "Les ventes de guides pour le Portugal, en particulier, atteignent des niveaux que nous n’avions encore jamais observés, et cet engouement du public profite à tous les éditeurs", indique Gérard Valembois, gérant de la librairie spécialisée Autour du monde, à Lille. Chez Michelin, par exemple, le Portugal "a progressé de 33 %", affirme Paul Carril, directeur de la division cartes et guides.
Pour l’ensemble des acteurs du secteur, les guides de courts séjours ont particulièrement le vent en poupe et font l’objet d’une intense production éditoriale. Les collections "En quelques jours" (Lonely Planet), "Cartoville" (Gallimard Loisirs), "Le guide vert week-end" (Michelin), "Un grand week-end" (Hachette Tourisme), "Carnet de voyage" et "City trip" (Petit Futé), "Guide de ville" (National Geographic) ont toutes enregistré des croissances à deux chiffres. "Avec les courts séjours, on sort presque du voyage pour entrer dans l’univers du loisir, estime Frédérique Sarfati-Romano, directrice de Lonely Planet. C’est pour cette raison que notre collection marche bien, parce qu’elle répond à des attentes spécifiques." Le Petit Futé progresse fortement sur les titres de "City trip" et surtout de "Carnet de voyage", vendus 4,95 euros. Avec encore 12 nouveautés l’an dernier, "Carnet de voyage" comprend maintenant 165 titres et va poursuivre son développement en 2015. "Cette collection fonctionne aussi très bien en B2B auprès des agences et des tour-opérateurs. Cela permet de compenser l’érosion des guides classiques qui, elle, se poursuit", explique Jean-Paul Labourdette, directeur du Petit Futé.
Destination jeunes
Chez Hachette Tourisme, "Le routard express" propose des petits fascicules ciblant les capitales européennes, lancés fin 2013 et vendus 4,90 euros, qui se sont bien installés. La collection compte 12 titres et s’enrichit de 3 nouveautés au premier semestre : Marrakech, Florence, Istanbul. L’éditeur annonce pour la suite Amsterdam et Lisbonne. "Nous ne proposons que les destinations qui intéressent les jeunes, explique Philippe Gloaguen, le fondateur du Routard. Ce sont des tirages de 12 000 à 15 000 exemplaires qui s’écoulent en un an et demi." Lonely Planet prévoit 6 nouveautés en 2015 pour sa collection "En quelques jours" : Abu Dhabi, Ibiza, Reykjavik, Nantes, Bali et Les chemins de Saint-Jacques. Gallimard Loisirs a publié les "Cartoville" Grenade et Le Cap en janvier et sortira Québec et Reykjavik en avril. En "Guide vert week-end", qui a progressé de 10 % en 2014 grâce à la refonte de ses couvertures et de sa maquette intérieure, Michelin se positionne sur Copenhague, Munich, Porto et Valence. En septembre dernier, Lonely Planet a aussi lancé une petite collection de 3 titres intitulée "A petits prix", vendue 8,99 euros et couvrant Paris, Londres et New York. "Le succès est au rendez-vous, mais nous ne prévoyons pas de la développer à moyen terme, précise Frédérique Sarfati-Romano. Il faut savoir se fixer des limites. Les villes très attractives et chères justifiant ce type d’ouvrages ne sont pas si nombreuses."
Au-delà des courts séjours, l’engouement pour les destinations européennes se vérifie aussi dans les guides plus exhaustifs. Le Routard complète son catalogue avec Madère, annoncé pour le mois de mai. Chez Gallimard Loisirs, la refonte l’an dernier de "Géoguide" a permis à la collection d’enregistrer une croissance de 10 %, selon Line Karoubi, la directrice générale. La parution en avril de 5 nouveautés (Alpes du Sud, Lyon et sa région, Pays de la Loire, Sardaigne, Pouilles et Basilicate) portera à 75 le nombre de titres proposés. Du côté d’Hachette Tourisme, même si les collections "Guides bleus" et "Voir" ont davantage souffert en raison de leur prix plus élevé, "les destinations villes comme Londres ou New York continuent à bien se vendre", relève la directrice Nathalie Bloch-Pujo. Chez Prisma, les guides National Geographic ont progressé de 14 %, dynamisés par une refonte de la maquette et surtout par le partenariat noué début 2014 avec Tripadvisor. "Nos couvertures arborent un macaron Tripadvisor et proposent dans le rabat un flash code renvoyant vers un site dédié qui délivre une sélection d’hôtels et de restaurants", explique Françoise Kerlo, directrice éditoriale au sein du groupe Prisma.
Lifting de fond
Au Routard, le recul de l’Afrique du Nord est également compensé par de bonnes ventes sur les destinations françaises. "Nous ne vendons presque plus rien sur l’Egypte ; le Maroc chute de 50 % et seule la Tunisie se maintient difficilement, confie Philippe Gloaguen. La chance que nous avons, c’est la France qui marche très bien grâce à nos 35 titres, à commencer par la Corse avec 96 000 exemplaires en 2014, suivie par la Côte d’Azur, les deux volumes sur la Bretagne ou encore le Pays basque, qui dépassent tous les 60 000." Point de vue identique chez Michelin, dont la collection "Le guide vert", qui comprend 33 références sur la France, remet à jour 14 de ses titres en 2015, et au Petit Futé, qui propose pas moins de 62 guides millésimés dans les collections par régions ou par départements.
Le marché hexagonal intéresse Lonely Planet, qui continue de développer sa collection "L’essentiel" avec deux nouveautés : Bordeaux, Gironde et Landes et Paris. "Nous n’avons pas encore un catalogue complet sur la France. Notre objectif est de proposer au moins une ou deux nouvelles destinations chaque année", explique Frédérique Sarfati-Romano.
Déjà nombreuses en 2014, les refontes et les créations de collections se poursuivent en 2015. Chez Hachette Tourisme, la maquette de "Guide évasion" fait l’objet d’un important lifting afin d’améliorer le repérage par le lecteur. Le premier chapitre, intitulé "Laissez-vous guider", résume les points d’intérêts de la destination concernée ; différents circuits sont également proposés en fonction de la durée du séjour. En 2015, la refonte concerne 17 titres sur la cinquantaine que comprend la collection.
Michelin annonce pour avril deux nouvelles collections, dont les noms n’ont pas encore été révélés. La première sera axée autour des très courts séjours et proposera de découvrir une ville quartier par quartier, avec à chaque fois une carte. "Michelin s’efforce de rajeunir son image et veut proposer davantage d’adresses pas chères pour répondre à la pression qu’exercent les guides du Routard et de Lonely Planet", estime un libraire qui a déjà reçu la visite des représentants de l’éditeur au Bibendum. Michelin déclinera une deuxième nouvelle collection constituée de guides centrés sur les envies du voyageur et proposant des activités dédiées à différents profils (farniente, nature, culture…). "Ces titres seront plus ciblés que les "Guides verts", l’idée est vraiment de montrer les incontournables d’un lieu au voyageur", précise Paul Carril.
Concernant les destinations lointaines, les classiques Thaïlande et Vietnam continuent de remporter les suffrages, mais des pays récemment ouverts comme la Birmanie ou le Sri Lanka sont attractifs. Après Gallimard Loisirs l’an dernier, Hachette Tourisme publie à son tour un Birmanie dans sa collection "Guides voir". Lonely Planet a sorti un "Guide de voyage" sur la République dominicaine en janvier, qui sera suivi par des titres sur le Tibet, le Danemark et la Colombie. "Cette collection a progressé de 11 % en 2014, bien portée par les nouveautés ; nous continuons à la développer", souligne Wilfrid Delfortry, directeur commercial illustré-tourisme. Spécialiste des destinations africaines, Jaguar a publié en janvier une nouvelle édition du Gabon, disponible en français, mais aussi en anglais, arabe et chinois. L’éditeur du groupe Jeune Afrique a déjà publié en août dernier La Côte d’Ivoire et prépare un Tchad pour le courant de l’année, ainsi qu’une nouvelle édition du Togo. "Notre chiffre d’affaires à l’export est très important, y compris dans d’autres langues que le français", explique Nicole Houstin, directrice adjointe. Nous avons notamment écoulé en précommande 3 000 exemplaires du Gabon en langue chinoise contre 600 en français dans l’Hexagone." La maison d’édition complète également son offre avec la publication d’un livre jeunesse sur l’histoire du Gabon et une série de beaux livres évoquant Le Burkina Faso, La Côte d’Ivoire et Le Cameroun.
En guides haut de gamme, Gallimard Loisirs lance Népal et Bali dans la "Bibliothèque du voyageur" tandis que, chez Michelin, les deux nouveautés 2015 dans "Le guide vert" sont Etats-Unis : Nord-Ouest et Etats-Unis : Nord-Est. Le Petit Futé complète son catalogue de destinations rares avec Zanzibar et prévoit un Pakistan pour la fin de l’année. "C’est l’un des rares pays que nous n’avions pas encore couverts, précise Jean-Paul Labourdette. La difficulté était de trouver le bon auteur, en l’occurrence une journaliste qui vit à Karachi." Un Guide des séjours linguistiques, en partenariat avec l’Unosel, complète la couverture mondiale du Petit Futé. Chez National Geographic, Françoise Kerlo signale les bonnes performances de la Nouvelle-Zélande et de l’Afrique du Sud. "Moins il y a de monde sur un segment et plus nous tirons notre épingle du jeu", souligne-t-elle.
Versions multilingues
Les petits éditeurs occupent, eux, les niches laissées libres. C’est le cas de Jonglez, pour qui 2014 a été une année de transition, marquée par le passage, en avril dernier, de Michelin à Volumen pour la diffusion-distribution. Ce changement a causé quelques difficultés d’adaptation à l’éditeur, qui a terminé l’année en baisse de 20 % alors même que ses ventes à l’étranger ont enregistré une bonne progression. "Nous nous donnons encore quelques mois pour redresser la barre avec Volumen", indique le patron, Thomas Jonglez. La collection "Insolite et secret", proposée en plusieurs langues, a notamment été enrichie d’un titre consacré à Naples, qui s’est écoulé à 8 000 exemplaires en langue italienne. "C’est le premier guide sur Naples en Italie", se félicite Thomas Jonglez. Cette année, la collection propose des titres sur Washington, Buenos Aires, Istanbul, les bars et restos insolites de New York, Tokyo, Stockholm, Mexico et Moscou. Dans la même veine, chez Ouest-France, la collection "Guide secret", centrée sur une région ou une ville, engrange de bons résultats. "Le tourisme régional est un point d’appui solide pour nous, indique Matthieu Biberon, directeur éditorial. Pour le reste, il faut rééditer les ouvrages de fond en permanence, car c’est la nouveauté qui tire l’activité." L’éditeur fête ses 40 ans en 2015 en proposant, en avril, une "box" contenant 14 de ses titres phares, parmi lesquels plusieurs ouvrages touristiques.
Au rayon bio
Positionné sur le tourisme durable, Viatao a de son côté publié quatre nouveaux guides en 2014 (Bali, Thaïlande, Corse et Guadeloupe), ce qui porte son catalogue à 14 références. "Cette année sera plus riche encore puisque nous allons sortir 7 nouveaux guides", précise Pascaline Deshayes, la présidente de Viatao. Depuis l’an dernier, la petite maison d’édition renforce son exposition en investissant les rayons librairie des magasins bio (Naturalia, Biocoop).
Face une telle abondance de destinations, les voyageurs sont parfois tentés de s’offrir un guide d’inspiration. L’offre sur ce segment est de plus en plus fournie. Michelin a notamment publié en fin d’année deux guides d’escapade compilant 52 idées de week-end pour la France et pour l’Europe qui ont tout de suite trouvé leur public. "L’appétit pour ce type d’ouvrages est réel. Les tirages que nous avions prévus pour un an ont été écoulés en à peine deux mois", se réjouit Paul Carril. L’éditeur devrait donc renforcer son offre avec d’autres nouveautés rassemblant les meilleures idées de voyages, un genre qui marche déjà très bien chez certains de ses confrères. En la matière, Lonely Planet dispose d’une gamme étendue avec, par exemple, ses deux best-sellers que sont 1 000 idées de voyage et 1 000 choses à voir dans le monde. Prisma, grâce à sa marque Geobook, peut toujours compter sur 110 pays, 6 000 idées, dont une nouvelle édition paraît ce mois de mars, et renforce son offre avec Balades nature en France, sa nouveauté lancée en février. Sous la marque National Geographic, Prisma publie aussi une nouvelle édition de 400 destinations de rêve.
A l’échelle hexagonale, les éditions Bonneton sont, elles aussi, présentes sur ce segment avec sa collection des "500 plus beaux" (Mes 500 petits coins de paradis ; Les 500 plus belles églises de France…) et sa série 100 lieux pour les curieux, laquelle propose un titre par département. "Nous allons continuer à développer les "lieux pour les curieux" en 2015", indique le directeur, Gautier Genton, qui pilote également les éditions Chamina, spécialisées dans la découverte des territoires, notamment par la marche et le vélo.
La France à pied et à vélo
Les guides à vocation sportive sortent d’une année globalement positive. Chamina revendique 15 % de progression, surtout grâce à ses collections "Les incontournables" et "Les 30 plus beaux sentiers". A la Fédération française de la randonnée pédestre, les ventes de topoguides dans les principales collections "GR pays grande randonnée" et "PR promenade et randonnée" "se sont stabilisées", indique Annie Sissoko, responsable de la commercialisation. La FFRandonnée propose en coédition avec Chamina une nouvelle mouture du topoguide Le chemin de Stevenson et annonce Traversée des Vosges, cette fois en association avec le Club vosgien. Elle renforce également son catalogue en propre avec Le parc naturel du Cotentin et du Bessin et Le parc Normandie-Maine. Un "GR" Tous en Seine est également prévu. Chez Ouest-France, la refonte au printemps dernier de la collection "Itinéraires de découvertes", avec un nouveau format, une nouvelle couverture et un prix revu à la baisse, a permis de retrouver une certaine croissance.
Côté deux-roues, Chamina publie Canal de Berry à vélo, Paris-Mont-Saint-Michel à vélo, et remet complètement à jour La Loire à vélo, "qui est sans doute l’itinéraire le plus pratiqué en France", précise Gautier Genton. Le marché intéresse Hachette Tourisme, qui inaugure la collection "Le Routard à vélo" avec un premier titre également intitulé La Loire à vélo. Sur ce même créneau, Ouest-France confirme les bons résultats de la collection "Vélo guide", riche d’environ 25 références. Elle accueillera plusieurs nouveautés en 2015, dont De Paris à Londres à vélo par les voies vertes, Paris-Roubaix à vélo ou encore De Roscoff à Cherbourg : le tour de Manche à vélo.
Le tourisme en chiffres
Le numérique au compte-gouttes
Alors que les rares tentatives pour développer le numérique n’ont pas porté leurs fruits en 2014, les éditeurs adoptent une position attentiste.
Le lancement, en mars 2014, par Le Petit Futé des "Ebook Futé", vendus en librairie sous la forme d’un livret contenant un code de téléchargement, a été l’innovation numérique de l’année dernière. Elle a pourtant fait long feu. "Malgré un bon accueil des libraires, qui ont joué le jeu en mettant en valeur les cartes, cela n’a pas du tout fonctionné, reconnaît Jean-Paul Labourdette, directeur du Petit Futé. Le concept n’a pas été compris par le public." Du coup, la maison a décidé d’arrêter la commercialisation de ses "Ebook Futé". "Mais cela ne signifie pas que nous devons abandonner le numérique, bien au contraire", précise Jean-Paul Labourdette.
L’échec d’"Ebook Futé" illustre la difficulté des éditeurs à trouver la bonne formule digitale, au point de les conduire à un certain attentisme. Chez Lonely Planet, les ventes de guides numériques progressent, certes, de 50 %, mais elles génèrent encore un chiffre d’affaires modeste. "En général, les voyageurs qui achètent une version numérique le font parce qu’ils sont déjà sur place et qu’ils sont partis sans guide papier, constate Frédérique Sarfati-Romano, directrice de Lonely Planet. Ou alors ils ont difficilement accès à une librairie car globalement l’appétence pour le guide papier reste très forte." Après la collection "Un grand week-end", Hachette Tourisme a étendu son offre d’ebooks à "Guide évasion", mais la directrice Nathalie Bloch-Pujo continue de penser que le format numérique se prête peu aux guides de voyage. "Ce n’est pas le genre d’ouvrage qu’on lit de manière linéaire et il y a encore des réticences à emporter une tablette à la plage", estime-t-elle.
Pas dans les mœurs
Au Petit Futé, qui est sans doute l’acteur le plus proactif en matière de numérique, Jean-Paul Labourdette confirme le faible engouement des lecteurs pour l’ebook, même si les ventes de guides dématérialisés ont progressé de 28 % en 2014. "C’est plutôt bien, mais ce n’est pas encore très rentable", observe-t-il. Plus étonnant, pour Jean-Paul Labourdette, le taux d’activation de la version numérique gratuite incluse dans l’ensemble des guides Petit Futé papier "ne dépasse pas 5 %". Pour l’éditeur, "cela montre que, hormis pour la littérature générale, l’usage du ebook n’est vraiment pas entré dans les mœurs."
Gallimard Loisirs, qui a investi en décembre le marché des ebooks avec une vingtaine de "Geoguide", n’en attend d’ailleurs pas monts et merveilles. "C’est une première tentative, pour voir", indique Line Karoubi, la directrice générale. De son côté, Michelin propose également quelques ebooks, mais c’est surtout Michelin Voyage, application gratuite disponible sur Android, Windows Phone et iPhone, qui trouve son public. Prisma ne propose toujours pas de version ePub de ses guides "Geobook". En revanche, le groupe de presse a investi sur une appli Geobook inspirée de 110 pays, 6 000 idées et intitulée "Bien choisir son voyage". Vendue 6,99 euros sur l’App Store, elle constitue "le gros investissement numérique de l’année", selon Françoise Kerlo. Les guides d’inspiration "Geobook" sont, eux, déjà disponibles en version numérique.