Etre né en 1979 et travailler dans le livre, c'est avoir démarré l'édition « à la gomme et au crayon », avoir calé les feuillets « à la main sur les rotatives », avoir connu « l'unimarc et les métadonnées », et se souvenir des « bons de commande reçus par fax ». Diplômés au début des années 2000, les quadras d'aujourd'hui étaient aux avant-postes lorsque la révolution informatique et numérique a bouleversé le milieu, dans les quinze dernières années. « Nous sommes pile entre deux générations : nous n'avons pas grandi avec Internet, mais nous nous en sommes emparés », observe le directeur de Fleuve, Florian Lafani. Qui remarque, comme l'ensemble de sa génération, que « tout s'est accéléré ».
Les quadras qui nous ont raconté leur parcours partagent une certaine nostalgie d'une « grande époque », où l'on s'autorisait plus de folies dans le livre, où les profils étaient moins « standardisés ». Cela tient autant de la nouvelle économie du secteur que de sa professionnalisation, et de l'émergence d'écoles et cursus reconnus. Qu'ils soient éditeurs, libraires, agents, attachés de presse, commerciaux, fabricants, bibliothécaires, tous soulignent l'importance du réseau, à l'heure où les carrières se font plus mouvantes. A 40 ans, ils sont nombreux à être tentés par l'aventure en free-lance, prêts à repousser les frontières de leur cœur de métier et à exploiter toutes leurs compétences. Livres Hebdo vous propose de découvrir les profils de 30 d'entre eux. Se dessine une génération aux valeurs communes, bien plus solidaire que compétitrice, et qui croit plus que jamais au pouvoir de l'écrit.
Nathalie Zberro
« J'ai l'impression que les carrières dans l'édition vont plus vite qu'avant », remarque Nathalie Zberro. Diplômée de Villetaneuse, passée par Verticales et par le Rouergue, c'est surtout à L'Olivier, où elle a passé neuf ans, que l'éditrice a gravi successivement les échelons. Avant de prendre, en 2013, la direction de la collection de littérature étrangère de Rivages. Si les chiffres de ventes, « que tout le monde connaît, ont changé la pratique du métier », il reste une constante en littérature : « cela prend du temps d'imposer un auteur », observe-t-elle. Bernard Malamud, Vivian Gornick, Jane Smiley... Nathalie Zberro défend les siens avec énergie, en particulier sur les réseaux sociaux. Consciente que l'éditeur d'aujourd'hui doit s'affirmer aussi en gestionnaire, elle préfère regarder la fragile économie du secteur d'un œil optimiste : « La crise donne une obligation de créativité. »
Guillaume Bernard
Les vocations naissent parfois au collège, à la faveur de rencontres d'orientation. « Les équipes du Berry républicain étaient venues nous voir, ça m'a donné envie de me tourner vers le papier », se souvient Guillaume Bernard, fabricant et service client chez CPI Print. BEP imprimerie à Tour, Bac pro au Cifop à Angoulême, BTS à l'école des Gobelins, il a pris soin de cocher toutes les cases dans ses études, mais l'imprimerie dans laquelle il effectuait son alternance a fait brutalement faillite. « J'ai profité du chômage pour compléter ma formation en PAO, car je voyais arriver en force les PDF, puis l'imprimerie CPI de Bussières m'a recruté, en 2006. » A l'époque, on cale encore les documents à la main sur les rotatives. Tandis que Guillaume Bernard migre à l'administratif, le secteur bascule vers le numérique. Face à des éditeurs attentifs à leurs stocks et qui commandent moins de volumes, l'avenir tient selon lui dans la réactivité, et dans la diversification : « On a investi dans une Quantum couleur, pour viser notamment le marché des livres santé. »
Sandrine Fregonara
A 40 ans, Sandrine Fregonara se sent « au bon endroit, au bon moment ». Cette représentante jeunesse chez Média Diffusion (Média-Participations), grande lectrice dès le plus jeune âge, a fait ses premiers pas professionnels dans le marketing plurimédia des produits de l'enfant avant de basculer, « dès que l'opportunité s'est présentée », dans le livre. Chef de secteur pour la région Rhône-Alpes, elle apprécie « l'émulation à la frontière suisse, la proximité avec les tendances éditoriales, et les journées qui ne se ressemblent pas », entre ouvertures de librairie et nouveaux périmètres éditeurs. Au fil des années, elle constate que les libraires sont « plus attentifs aux retours et aux mises en place », mais bénéficient de davantage d'outils. Les évolutions techniques ont aussi un impact sur son quotidien, pour le meilleur : « Les éditeurs sont de plus en plus réactifs, ça nous permet par exemple de prendre des échantillons avec nous, et d'être plus efficaces. »
Céline Bœuf
Céline Bœuf l'affirme d'emblée, « bibliothécaire n'était pas une vocation ». Née voyante, elle a peu à peu perdu la vue au fil de son adolescence et choisi d'apprendre le braille après son bac, avant d'entamer avec détermination des études de musicologie et une formation d'accordeuse de piano. « Des années géniales, qui ne pouvaient mener qu'au chômage », se souvient-elle avec autodérision. Entrée à temps partiel à la médiathèque de l'association Valentin Haüy, à Paris, elle en est devenue responsable adjointe à partir de 2010, après une formation à Médiadix. « En dix ans, nous sommes passés de 4 000 références de livres audio disponibles au prêt, en physique ou fichier numérique, à 40 000 », s'exclame-t-elle, mettant aussi en avant la démocratisation des équipements Daisy et de la médiation dans les bibliothèques municipales. La mission pour le futur consiste à faire connaître la médiathèque, et son service de prêt numérique, Eole. « Il y a du travail : sur 1,7 million de malvoyants français, nous n'en touchons que 8 300. »
Eva Delbeke
D'enseignante en maternelle à libraire spécialisée en jeunesse, il n'y avait qu'un pas (ou presque) qu'Eva Delbeke s'est empressée de franchir en 2005, après avoir appris la gestion d'entreprise via des cours du soir. Le Petit Prince, la librairie qu'elle a reprise à Nivelles, dans le Brabant wallon, compte près de 11 000 références sur un espace de 80 m2, mais ne se destine pas qu'aux enfants. « J'ai fait évoluer l'offre, en supprimant le rayon jeux, et en développant un espace dédié à la littérature adulte. » Si les livres scolaires représentent encore près de la moitié de son chiffre d'affaires, la libraire belge met l'accent sur l'événementiel et les activités pour enfants, qui ont apporté « un vrai dynamisme et de l'attractivité » à son magasin. De quoi voir grand pour la suite : Eva Delbeke, qui a déjà agrandi son commerce il y a quatre ans, rêve déjà de plus de surface.
Augustin Trapenard
De « Boomerang » sur France Inter à « 21 centimètres » sur Canal+, Augustin Trapenard a petit à petit troqué la presse écrite pour la télévision et la radio, et les critiques de livres pour les « interviews portraits, sur les conseils de Philippe Lançon ». Une transition liée tout autant à ses goûts qu'à l'évolution du traitement médiatique de la littérature : « Le peu d'espace pour les livres dans les grands médias m'a incité à sélectionner des œuvres ou des auteurs à mettre en avant plutôt qu'à attaquer, et la réduction des formats convient de moins en moins, à mon sens, à l'exercice de la critique », observe le normalien, passé par Elle, Le Magazine littéraire, Radio Nova ou France Culture. Caustique dans sa chronique « Figures de Donald » tous les trois mois dans la revue America, il se fait complice des écrivains qu'il admire dans ses longs entretiens, qui lui ont notamment valu le prix de l'Intervieweur de l'année 2019. Plus que tout, Augustin Trapenard chérit aujourd'hui sa liberté, « de lire ce qu'[il] veu[t] et de recevoir qui [il] souhaite ».
Damien Nassar
La troisième vie de Damien Nassar a démarré il y a à peine cinq mois. Après des études en gestion culturelle, celui qui s'occupe désormais de la surdiffusion pour la collection de polars « Equinox » des Arènes se voyait bien « dans le spectacle vivant, ou à la tête d'un lieu hybride entre librairie, café et salle de concert ». Tourneur plusieurs années pour des groupes de rock, il a mis un premier pied en librairie en 2006, au rayon BD de la Librairie de Paris, avant d'arriver chez Delamain puis de passer près de dix ans au Divan à gérer la littérature étrangère et le polar. « Et puis j'ai eu envie de changer de structure, raconte ce diplômé de l'IUP de Dijon. J'avais déjà lu une bonne partie des romans d'"Equinox" quand on m'a proposé de gérer les relations libraires pour la collection. » Organiser les dédicaces d'auteurs, trouver pour chaque livre le bon lecteur, le métier cumule des expériences communes à ses deux premières carrières. Face à des libraires qui « croulent sous la production », Damien Nassar aime particulièrement personnaliser ses recommandations, et « faire ce travail supplémentaire dans le détail pour chaque auteur ».
Carole Marc
L'histoire de Carole Marc avec la librairie est avant tout une histoire de famille. « J'ai été chargée de communication en mairie, puis dans une banque à Rennes. Quand ma sœur, libraire à Quimper, est partie s'installer à Saint-Pol-de Léon (Finistère), j'ai profité de mes vacances pour l'aider, sans aucune intention derrière. Mais j'ai aimé me sentir utile, et en 2007 nous nous sommes associés : à elle le conseil, à moi la promotion, les demandes de subventions, et l'aménagement du café attenant à la librairie. » Huit ans après avoir lancé leur petite entreprise, les deux sœurs ont décidé de vendre Livre in Room. Mais Carole Marc, formée entre-temps à l'INFL, n'envisageait pas de quitter le livre. Documentaliste en collège puis responsable de rayon dans l'espace culturel E. Leclerc de Brest, elle gère depuis le printemps 2018 la communication de la librairie Dialogues. Avec toujours la même envie, et dans un climat de confiance : c'est sa sœur, Delphine Leborgne, qui dirige la librairie.
Sandie Rigolt
Quand elle parle de son -métier, Sandie Rigolt a l'assurance de ceux qui savent où ils vont. « Je ne cherche plus à être une simple passeuse. J'aime lancer les livres en me mettant des objectifs : une matinale en radio, un quotidien, un talk-show, le jour de la parution. » Après un stage au service de presse de Gallimard, elle a suivi Joëlle Faure chez XO comme assistante, avant de rejoindre JC Lattès en tant qu'attachée de presse province. « J'ai mis le Da Vinci Code sous pli, puis je suis partie chez Flammarion, où j'ai rencontré par la suite Sophie Charnavel. Je l'ai rejointe en 2016 chez Fayard, où je m'occupe de témoignages forts et documents à enjeux », tels que Vous n'aurez pas ma haine d'Antoine Leiris, ou Ce que je peux enfin vous dire de Ségolène Royal. Loin d'attendre les sollicitations, Sandie Rigolt n'hésite pas à proposer des angles et sujets aux journalistes. Ceux qu'elle a connus pigistes sont aujourd'hui rédacteurs en chef. Elle-même se verrait bien profiter de son expérience pour évoluer, et défendre en presse ses propres projets : « Sophie de Closets me l'a proposé, c'est rare, et cela ouvre des perspectives enthousiasmantes. »
Anne Kalicky et Bénédicte Beaujouan
Anne Kalicky et Bénédicte Beaujouan n'avaient « pas forcément prévu de travailler ensemble dans l'édition ». L'itinéraire de ces (vraies) jumelles est d'ailleurs inversé : « Je suis restée plusieurs années en poste comme éditrice au sein d'Hachette, à la jeunesse, aux licences puis chez Gauthier Languereau, avant de créer ma propre structure, Le Comptoir éditorial, en 2010 », explique Anne, l'aînée, également auteure. Diplômée de l'Institut supérieur des arts appliqués, Bénédicte a de son côté créé très tôt le Bureau des affaires graphiques avec Suzanne Thomas, qu'elle n'a quitté qu'en 2015 pour prendre la direction artistique du Livre de poche. Après une quinzaine d'années dans le métier, les deux sœurs partagent le même constat sur leurs conditions de travail : « Le rythme de production s'est accéléré, le brainstorming est presque devenu old-school. » Dans les quelques projets qu'elles ont eus en commun - le livre de recettes Gastronogeek de Thibaud Villanova (Hachette Cuisine, 2014) -, comme dans le reste de leur vie professionnelle, ce duo prend cette proximité comme une chance : « On n'a pas de problème à se dire les choses directement, ou à se conseiller. Cela crée une émulation. »
Anna Svenbro
Arrivée presque par hasard, après Sciences po, sur une mission de numérisation en bibliothèque pour le CNRS, Anna Svenbro a construit toute sa carrière dans les médiathèques. « Après quelques vacations, je suis entrée à l'Enssib avant de prendre mon premier poste à la BNF, comme chargée de collection en littérature scandinave », énumère cette Suédoise d'origine. Chargée de mission pour les bibliothèques numériques et l'informatisation au service du livre et de la lecture du ministère de la Culture, responsable du service informatique de la BIU Santé de Paris Descartes, son parcours reflète la mutation technologique du secteur, et « l'impact énorme du web sur les collections ». Depuis janvier, elle est en poste à la BU de Limoges, comme responsable de l'informatique documentaire. Outre des missions de community management, désormais indissociables du rôle du bibliothécaire, elle remarque que « la culture wiki prend de plus en plus de place. Nous avons fort à faire pour accompagner l'émergence de ces amateurs experts. »
Florian Lafani
Conscient que « l'édition est un monde qui se transforme », Florian Lafani, directeur éditorial de Fleuve éditions depuis dix-huit mois, s'applique depuis le début de sa carrière à anticiper les nouveaux modèles. Celui qui a « fait ses gammes auprès de Bernard Fixot » a cofondé en 2009 Leezam, une maison d'édition pionnière (mais éphémère) dans les contenus pour smartphones et tablettes. Devenu directeur du développement de la plateforme Izneo, dédiée à la BD en ligne, il a marqué de sa patte le catalogue de Michel Lafon, y intégrant notamment Aurélie Valognes et Agnès Martin-Lugand, dénichées dans l'univers foisonnant de l'autoédition. « Les outils ont évolué, on est entré de plein fouet dans l'ère des réseaux sociaux et des influenceurs, mais l'objectif reste le même : œuvrer pour qu'un livre trouve son public », estime ce digne représentant d'une génération « à l'aise avec le numérique sans être née avec », qui ambitionne, comme beaucoup, de publier moins et mieux.
Jérôme Gille
Formé en commerce international, c'est en 2002 que Jérôme Gille a découvert l'édition et plus précisément le domaine des droits étrangers chez Hachette, groupe qu'il n'a plus jamais quitté. Le directeur éditorial d'Hazan, qui « dévorai[t] les bandes dessinées, notamment Astérix et ses facéties visuelles et linguistiques » lorsqu'il était enfant, porte un regard enthousiaste sur les mutations techniques dans le segment du livre d'art : « Les process ont évolué, et permettent de viser une qualité de reproduction de plus en plus pointue », main dans la main avec les partenaires muséaux. Commercialement aussi, l'évolution a été profonde, entre allongement des délais de prospection et accélération des cycles de rotation en libraire, pour coller au plus près à l'actualité. Reste le fond, immuable : « L'énergie et la passion avec laquelle nous défendons nos ouvrages. »
Hélène Vaultier
Il fut un temps où Hélène Vaultier, responsable de fabrication chez Stock, « connaissait par cœur » les codes EAN de ses livres. Mais dans ce service « en lien avec tous les autres départements », les délais se sont raccourcis pendant que les rentrées littéraires s'étoffaient. « On avait l'impression de moins s'approprier chaque titre », remarque celle qui a géré la composition et l'impression des ouvrages et établi les devis pour les 80 nouveautés annuelles de la maison pendant seize ans. En 2017, cette khâgneuse passée par le BTS édition de l'école Estienne a eu envie de nouveaux défis, de « proposer toutes [s]es compétences et de travailler directement sur le texte ». A l'été 2018, elle s'est lancée comme lectrice et correctrice free-lance, et offre également à ses clients (Stock, Christian Bourgois, Fei, Matin Calme), selon les ouvrages, un travail de suivi éditorial et de conseil sur la fabrication. Sans s'interdire, pour l'avenir, d'entamer d'autres nouveaux projets.
Carole Jacquet
Obtenir son premier poste de bibliothécaire en Ecosse, à l'Alliance française de Glasgow, n'est pas ce qu'il y a de plus banal. Poursuivre sa carrière comme responsable des ressources documentaires du Centre culturel irlandais de Paris non plus. « J'ai simplement répondu à une offre d'emploi, alors que cette petite structure se lançait, en 2004 », détaille Carole Jacquet, qui a appris le métier à la médiathèque de l'ESCP, en parallèle de ses études à l'Ecole des bibliothécaires et documentalistes de l'Institut catholique de Paris. Rue des Irlandais (ça ne s'invente pas), elle gère aujourd'hui la médiathèque, la bibliothèque patrimoniale ainsi que les archives historiques sur la communauté irlandaise en France. Elle a aussi piloté l'informatisation des collections et mène aujourd'hui un vaste projet de numérisation des fonds. « Mais ma mission, c'est aussi de faire vivre la bibliothèque », insiste-t-elle. A son actif : la mise en place de résidences d'écrivains, d'un prix de traduction, et de soirées-lectures aux chandelles particulièrement appréciées.
Céline Ottenwaelter
Lors de l'un de ses premiers stages dans l'édition, chez Mango, Céline Ottenwaelter s'est rendu compte qu'être éditeur jeunesse « était un métier formidable et extrêmement varié, en lien avec les auteurs, les illustrateurs et les graphistes ». Après un master de lettres modernes à la Sorbonne et une formation d'un an au Cecofop-Le Passeur, c'est pourtant chez Léo Scheer qu'elle trouve son premier poste. « J'y ai beaucoup appris, mais l'amour de la jeunesse était toujours présent, et j'ai tâché d'y garder un pied », raconte l'éditrice, partie en 2009 pour Le Baron perché. Au Seuil Jeunesse depuis 2014, où elle est désormais responsable éditoriale, elle a notamment édité André Bouchard, Marie Dorléans et Thierry Dedieu. Elle aime « toucher à tout en termes de forme, du pratique au livre illustré ». Son prochain projet, 100 ans de Heike Faller et Valerio Vidali, édité en collaboration avec les éditions du Sous-Sol et prévu pour octobre, devrait créer des passerelles entre jeunesse illustrée et littérature adulte.
Séverine Bordeaux
Sa reconversion peut sembler radicale, mais Séverine Bordeaux y voit au contraire une vraie continuité. Après des études d'histoire et d'histoire de l'art, cette baroudeuse dans l'âme a été éducatrice spécialisée dans la protection de l'enfance, pendant une dizaine d'années. « Le livre était un média dont je me servais beaucoup. » En 2017, elle décide de se former et d'acheter un local à Vivonne, dans la Vienne. Elle suit aussi les conseils de son oncle, libraire généraliste : « Je me suis spécialisée. Je fais essentiellement de la jeunesse et de la BD, avec un petit rayon littérature et BD adulte. » Les Jolis Mots, 70 m2 de vente, s'applique depuis à faire vivre la culture dans cette petite ville de 4 000 habitants. « Deux ans plus tard, je suis toujours enthousiaste, la librairie connaît un bel essor », estime Séverine Bordeaux. Sa prochaine mission consiste surtout à démocratiser le livre, et à ne plus s'adresser qu'à ceux pour qui franchir le seuil de son enseigne est un acte militant.
Marleen Seegers
C'est depuis la Californie, où elle a élu domicile en 2011, que l'agente Marleen Seegers fait « voyager les livres et les idées » d'un continent à l'autre. Elle-même collectionne les tampons sur son passeport : née aux Pays-Bas, elle a appris le métier en France, en stage chez Lattès et Michelle Lapautre, puis aux cessions de droits de Stock pendant cinq ans, avant de traverser l'Atlantique pour cofonder 2 Seas Agency avec son mari, Derek Dodds. Allary, Le Livre de poche, La Martinière Littérature ou Massot éditions figurent parmi les éditeurs français qu'elle représente dans le monde entier, à côté d'agences internationales et françaises en tant que sous-agent (Kleinworks Agency, L'Autre Agence), et d'une poignée d'auteurs. Influencée par la culture américaine, Marleen Seegers a généralisé l'envoi de newsletters mensuelles à son réseau, dans lesquelles elle évoque l'actualité de l'agence et fait des bilans des foires. D'ailleurs, celle qui travaille depuis quatre ans avec une collaboratrice à Chypre n'aime rien tant que « le contact avec les gens sur place », à Paris, New York, Londres et Francfort, mais aussi, depuis peu, à Séoul ou Guadalajara.
Emilie Guillier
Après un début de carrière comme documentaliste, au Comité national pour le développement du bois puis au Centre scientifique et technique du bâtiment, Emilie Guillier a pris naturellement le chemin de l'édition professionnelle. Depuis 2007, l'éditrice, formée en histoire de l'art, développe aux éditions du Moniteur (groupe Infopro digital) des livres techniques, des ouvrages à actualisation et des beaux livres, main dans la main avec architectes et spécialistes du BTP. En douze ans au sein de cette maison orientée sur le secteur du bâtiment, l'éditrice a vu les cadences s'accélérer. Spécialisée dans les ouvrages réglementaires sur la sécurité incendie ou l'accessibilité aux personnes handicapées, elle déploie son expertise sur de multiples supports, comme les 12 autres éditeurs du département : « L'alimentation et l'animation des bases de données (Moniteur Juris, Kheox) représentent maintenant une part non négligeable de notre activité. »
Brice Vauthier
Entre les vagues et le livre, le cœur de Brice Vauthier a longtemps tangué. Ce Parisien aux origines bretonnes qui rêvait déjà, après le bac, d'ouvrir sa librairie dans le 15e arrondissement, a d'abord mis le cap sur Saint-Malo. Après quelques années comme entraîneur de voile, l'amour des mots et « l'envie d'être son propre patron » l'ont rattrapé. « J'ai suivi une formation accélérée à l'IUT Métiers du livre de Saint-Cloud, j'ai trouvé un local à Paramé, la commune d'où vient ma mère, et en 2013 je me suis lancé », explique simplement celui qui aimait, enfant, contempler l'immense bibliothèque familiale classée par auteurs. Depuis ses 45 m2 installés rue Gustave-Flaubert, Brice Vauthier pilote avec pragmatisme sa petite entreprise de deux personnes. « Comme les gens de mon âge, j'ai intégré le fait que la librairie est avant tout un commerce. Nous veillons à être rentables et à avoir des salaires décents. » C'est aussi en ce sens qu'il conseille ses stagiaires et apprentis, souvent tentés de constituer leur bibliothèque idéale : « Il faut lire aussi ce que les gens veulent, s'ils veulent vivre correctement. »
Anne-Laure Walter
Aujourd'hui rédactrice en chef adjointe de Livres Hebdo, Anne-Laure Walter avoue être arrivée « complètement par -hasard » rue Grégoire-de-Tours. « En -sortant de l'Ecole supérieure de journalisme de Lille, j'ai envoyé des candidatures à tous les journaux qui avaient "lire ou livre" dans leur titre. Quand Livres Hebdo m'a appelée, la Librairie de Paris, place de Clichy, m'a laissé feuilleter quelques numéros pour que je prépare l'entretien », se souvient-elle. Un père auteur de livres sur l'Afrique, une grand-mère primée pour ses titres jeunesse, la Bretonne se sent à sa place à ce « poste d'observation du secteur », d'où elle a été témoin, en quinze ans, d'un énorme virage générationnel : une nouvelle vague d'éditeurs a -remplacé « les figures mythiques de l'édition, Claude Durand, Jean-Marc Roberts ou Christian Bourgois », les jeunes éditrices d'hier sont devenues les femmes fortes d'aujourd'hui. Les libraires « soixante-huitards » ont, eux, cédé leur place à de jeunes professionnels en phase avec leur temps, et le troisième lieu s'est définitivement imposé en bibliothèque. « Les codes ont changé ! »
Julien Donadille
Peut-on démarrer ingénieur en génie électrique et terminer conservateur des collections patrimoniales des médiathèques de Saint-Denis ? Oui, la preuve avec le parcours, plutôt atypique, de Julien Donadille. Qui s'est pas mal cherché dans l'univers du livre, entre un premier poste de chef de produit dans l'édition et une brève expérience de libraire chez Gibert Jeune, avant d'entrer à l'Enssib en 2005. Comme nombre de ses collègues, il a été témoin d'importantes évolutions de la profession ces dix dernières années : « On est passés de l'approche "collection" à l'approche "public". Et si le livre est central, il n'est plus qu'un des aspects de l'offre de services de Plaine commune. » Celui qui a aussi été directeur adjoint des médiathèques de Saint-Denis, chargé du livre à l'ambassade de Rome et a publié en 2016 un premier roman chez Grasset, veille aujourd'hui sur un fonds de 100 000 livres et documents anciens, accompagné de deux personnes. Il observe ainsi : « Ma génération est peut-être moins militante, mais plus sensible aux questions managériales. »
Sophie Rouanet
De J'ai lu à Flammarion, de Marabout à First, où elle a passé six ans, Sophie Rouanet multiplie les expériences variées dans l'édition depuis quinze ans, avec une « orientation dans le pratique qui s'est précisée petit à petit ». Celle qui fut un temps plume free-lance « avec un grand bonheur » a pris il y a un an la direction éditoriale des marques Leduc.s Pratique, Leduc.s Jeunesse, Tut-tut et L'Inédite, au sein des éditions Leduc.s (Albin Michel). Sophie Rouanet conçoit le métier d'éditeur comme « un développeur d'auteurs : il faut accompagner ces derniers sur tous les supports, en conférence, sur leurs univers graphiques et sur les réseaux sociaux ». Comme les professionnels de sa génération, elle veille à saisir l'air du temps dans tous les domaines du quotidien, et travaille aujourd'hui à proposer une offre « en trois dimensions » au public, entre livre, livre audio et podcast.
Marie-Pacifique Zeltner
Un premier stage pendant des études de lettres peut influencer toute une carrière. C'est le cas de Marie-Pacifique Zeltner, dont la mission d'attachée de presse au Diable vauvert s'est rapidement transformée en CDI. Passée quelques années chez Zulma, elle a choisi ensuite de quitter Paris pour s'installer en famille près d'Aix-en-Provence. « J'avais aussi envie d'autre chose que la presse, et j'ai su que le poste de cessionnaire de droits et assistante acquisition se libérait au Diable, en 2005. » Depuis quatre ans, celle qui a créé avec la scout Valentine Spinelli le blog The Archivists, des portraits de personnes à travers leur bibliothèque, ne gère plus que les cessions de droits pour la maison de Marion Mazauric, et développe en parallèle son agence littéraire, Bibemus. A côté de Quidam, Le Mot et le reste et Tohu-bohu, elle défend quelques auteurs à l'étranger. Avec la contraction du marché, les éditeurs indépendants « osent moins qu'avant », estime Marie-Pacifique Zeltner, mais l'échange reste le cœur du métier : « J'aime rencontrer ceux qui ont créé leur maison, dans leur pays, découvrir et comprendre leur marché. »
Maud Simonnot
Des études d'histoire de l'art, un master d'édition à la Sorbonne, une thèse sur l'histoire de l'édition... Dès sa formation, le chemin de Maud Simonnot semblait tout tracé. Il n'est donc guère étonnant de la retrouver aujourd'hui comme plus jeune membre du comité de lecture de Gallimard, après une première mission d'assistante d'édition au Mercure de France et un poste d'éditrice chez Flammarion. Si le métier, à ses yeux, n'a guère évolué - « je travaille toujours au crayon et à la gomme, et j'aime toujours autant lire des manuscrits » -, Maud Simonnot revendique une proximité avec ses auteurs sans doute propre à sa génération. Celle qui a publié son premier roman dans la « Blanche » en 2017, La nuit pour adresse, inspiré de la vie de l'écrivain Robert McAlmon, a gardé de ses différents stages et postes un important réseau. Elle relève : « Entre confrères, nous n'hésitons pas à nous recommander des textes, c'est une vraie force. »
Anne-Sophie Jouanneau
Pour Anne-Sophie Jouanneau, tout a commencé par un stage chez Albin Michel en 1999, alors qu'elle n'avait que 20 ans. C'est d'ailleurs au département « Spiritualités » de la maison de la rue Huyghens, et auprès de Francis Esménard, « qui chaque jour nous parlait de ce qu'il avait lu », que cette diplômée en philosophie a fait la majeure partie de sa carrière. Responsable d'édition à partir de 2004, Anne-Sophie Jouanneau côtoie au fil de son parcours des profils variés, qui viennent tantôt de la librairie, tantôt des sciences humaines. « C'était un milieu d'une exotique liberté, qui s'est considérablement professionnalisé avec l'émergence des masters d'édition, observe-t-elle. J'ai l'impression de partager avec les gens de mon âge la nostalgie d'une époque d'effervescence, où plus de choses étaient possibles. » Il y a tout juste un an, avec l'envie « d'un changement de culture », l'éditrice est partie prendre la direction littéraire de Bayard, au sein du secteur « société famille spiritualité ». Elle y construit un catalogue qui lui ressemble, fait de beaux livres, essais et documents.
Richard Gozzerino
Son premier poste de libraire, Richard Gozzerino l'a obtenu en 2004, au Virgin d'Avignon, rayon « livres pratiques et loisirs, parce que c'est souvent par là qu'on commence ». Mais à la faveur d'une mission en Guyane, ce titulaire d'un DUT Info-com option métiers du livre ne tarde pas à se spécialiser dans ce qu'il aime par-dessus tout, la bande dessinée. A La Cas'A bulles, à Cayenne, où il a passé quatre ans et demi, il a vu progressivement le lectorat « se féminiser », et les logiciels professionnels considérablement évoluer. Au sein de La Réserve à bulles, un espace de 7 000 références à Marseille où il officie à temps partiel depuis 2011, Richard Gozzerino assume avec les deux propriétaires de se « démarquer de la BD franco-belge et des mastodontes façon XIII ou Thorgal » pour mettre l'accent sur le roman graphique. La surproduction est pour lui une question quotidienne - « il y a beaucoup d'appelés et peu d'élus » - mais qui le stimule aussi dans son métier de prescripteur.
Jonathan Bachi
Jonathan Bachi a navigué quinze ans dans les rayons de la librairie, chez Virgin, à la Fnac et au Furet du nord, en région parisienne. Et puis, il y a deux ans et demi, il a basculé « de l'autre côté » en acceptant un poste chez Média Diffusion. « Je comprends les libraires, leur quotidien, je connais la problématique des retours. Et je sais que c'est apprécié sur le terrain », souligne le plus jeune représentant de l'équipe BD. S'il maîtrisait déjà son environnement de travail en démarrant sa seconde vie dans le livre, Jonathan Bachi a eu ses périodes de doutes, et ses moments « où on a l'impression qu'on n'est pas bon », se souvient-il. D'autant que le rythme est soutenu quand il s'agit de défendre tout le catalogue BD de Média-Participations. « Mais il ne faut pas hésiter à demander de l'aide aux anciens, voilà le conseil que je donnerais à un quelqu'un qui débute dans le métier. »
Delphine Henry
Fondée en 1985 pour améliorer la coopération entre bibliothèques sur le territoire, la Fédération interrégionale du livre et de la lecture (Fill) s'est progressivement ouverte aux autres acteurs de la chaîne du livre. Delphine Henry, à sa tête depuis tout juste un an, n'aurait pas pu trouver mission plus adaptée à son parcours. Après un premier poste chez Canopée Champagne-Ardenne, cette diplômée d'histoire est arrivée chez Interbibly, l'agence de coopération régionale entre les acteurs des bibliothèques et ressources documentaires, où elle était notamment chargée de faire voyager des expositions d'une bibliothèque à l'autre. A la Fill, l'intention est la même : « Faire se rencontrer les 20 adhérents et concevoir des outils communs, tels que la Charte nationale des manifestations littéraires. » Avec la fusion des régions, le rôle de la Fill se révèle plus essentiel encore, estime la déléguée générale, qui insiste sur les capacités d'adaptation et d'innovation de l'organisme : « Nous avons récemment mis en place une gouvernance collective avec une coprésidence à trois membres. »
Clémence Seibel
Propulsée attachée de presse dans la mode et la beauté à sa sortie de l'Icart, l'Ecole du management de la culture et du marché de l'art, Clémence Seibel a rapidement pris le chemin des lettres. « Assouline a été mon premier éditeur, mais c'est auprès de Suzanne Jamet que j'ai réellement fait mes armes », se souvient-elle, évoquant avec une pointe de nostalgie ses missions pour Fayard, à la « grande époque de Claude Durand, où l'on envoyait parfois 200 services de presse ». De l'agence Façon de penser à Laurent Payet, des éditions Des femmes à HarperCollins, Clémence Seibel fête cette année ses 10 ans comme autoentrepreneuse, en même temps que les 10 ans de Loup, le personnage fétiche d'Auzou, dont elle gérera l'anniversaire à la rentrée. Face à la surproduction « qui noie les journalistes », elle mise désormais sur les rendez-vous téléphoniques et les possibilités offertes par les réseaux sociaux, pour défendre au mieux ses titres et renforcer sa visibilité d'indépendante.