Une polémique, quand le terme est entré dans la langue française, qualifiait une chanson guerrière. Son apparition se fit sous l’influence des poètes de la Pléiade, Du Bellay en tête, qui enrichirent le lexique français de néologismes issus du grec, au cours d’une immense entreprise de glorification de la France. On s’en moque, répondra-t-on ; venons-en au fait. Le fait est justement que ce rapide détour par l’histoire éclaire d’une façon singulière le nouvel opus de Benoît Duteurtre. Ses Polémiques se présentent sous la forme d’un recueil de textes incisifs, organisés en trois parties : « genres de vie », « politique » et « esthétique ». D’un œil acéré, l’auteur évoque tour à tour Fukushima et les drogues, les poussettes et Christine Angot. La première section s’attaque à ce qu’il est convenu d’appeler « sujets de société » : le mariage homosexuel, le retour du religieux, l’hégémonie du football. Etonnamment, c’est dans ces univers où le romancier excelle à camper ses personnages que le satiriste est le moins convaincant : se réclamant trop souvent d’un « avant » vague et catégorique, la critique perd en force ce qu’elle garde en finesse (sur les revendications frisant l’artifice des militants pro-mariage gay, par exemple) et en humour (on n’oubliera pas de sitôt les « poussettes-béliers » à l’assaut des cafés). C’est plutôt dans les considérations sur la marche de la France et de l’Europe que se déploie la hauteur de vue. Certaines analyses sur le prétendu pessimisme français et l’anglicisation du continent seraient à déclamer une fois par semaine sur les places publiques, tout comme la réflexion sur le sens politique des langues ou la dénonciation d’une Europe de normes et de gestion. Quant au chapitre esthétique, on y retrouve le Duteurtre capable de faire le lien entre Houellebecq et Martin Page aussi bien que de disserter sur Monet ou sur la réception comparée de Strauss et de Mahler. L’ouvrage va ainsi crescendo, de plus en plus érudit. Et l’étymologie, dans tout ça ? La voilà : le texte, savoureux, est une chanson. Le projet est un combat. L’œuvre place son auteur dans cette très longue histoire française, où l’écriture est célébration d’une nation, avec son passé et son avenir, ses doutes et ses fiertés. Le titre fait sens.
Fanny Taillandier