3 avril > Histoire France

Remarqué pour son récit Vie et mort de Paul Gény (Seuil, 2013, voir LH 937, p. 48), Philippe Artières explore, comme historien et anthropologue, les écritures qui se manifestent dans l’espace public. Après A fleur de peau. Médecins, tatouages et tatoués (1880-1910) (Allia, 2004) et Les enseignes lumineuses. Des écritures urbaines au XXesiècle (Bayard, 2010), voici le dernier volet du triptyque. Consacré à La banderole, il inaugure la nouvelle collection « Leçons de choses » chez Autrement.

Que dire de cet objet ? Il relève souvent de l’éphémère théâtre de la politique, et pourtant il marque les esprits. Pour Philippe Artières, cette banderole « appartient à une histoire contemporaine de l’écrit dont les formes ne cessent de se renouveler ». Par son travail au CNRS et sur le site Scriptopolis.fr, le chercheur nous invite à mieux regarder nos villes, à en repérer les signes fugaces et à observer ce qui se voit trop pour être vraiment vu.

Dans cet essai agile, il alterne les analyses thématiques et les exemples singuliers comme celui des mutinés de la prison de Toul en 1972, qui avaient écrit sur des draps avec du chocolat « on a faim » pour alerter l’opinion sur leurs conditions de détention. Dans la Russie de Lénine, la Chine de Mao ou La France de Mai-68, l’écrit crève l’écran, et la culture graphique se métamorphose, comme le drapeau polonais rouge et blanc se transforme en banderole « Solidarno?? ». La contestation devient logo.

Philippe Artières souligne combien les cortèges mortuaires peuvent être l’occasion d’événements graphiques. Il rend aussi hommage au photographe Elie Kagan, qui fut un archiviste de la banderole en saisissant les inscriptions de la contestation dans les villes.

La banderole se porte maintenant près du corps avec les slogans imprimés sur les tee-shirts des ouvriers de Fralib ou d’ailleurs, comme sur les casquettes des supporters de football ou sur le front des kamikazes du jihad. Les Femen vont plus loin en marquant leurs messages sur leurs poitrines nues. D’instrument d’autorité au Moyen Age la banderole est passée à celui de contestation. Au XXe siècle, elle fut le signe des luttes et des révolutions. Aujourd’hui, elle prolonge de manière inattendue cette histoire du voir dans un monde où il faut être vu. L. L.


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