La cour d’appel de Paris s’est penchée, le 24 novembre 2017, sur la protection d’ouvrages relatifs aux monnaies françaises par le droit des bases de données.
D’un côté, un éditeur publiant notamment, tous les deux ans, depuis 1995, un volume répertoriant, classant et notant «
les frappes monétaires officielles en francs depuis le 15 août 1975 ». De l’autre, «
un particulier, collectionneur de monnaie » qui «
s’est consacré à la constitution d’un ouvrage sur les monnaies à destination des collectionneurs afin de leur donner des indications sur les prix pratiqués sur le marché. Il est l’auteur et l’éditeur à compte d’auteur » d’un ouvrage en deux volumes, répertoriant et classifiant
« toutes les pièces de monnaies françaises en circulation, ainsi que les essais, épreuves de concours et piéforts ».
L’éditeur professionnel a estimé que le tome I de cet ouvrage «
reprend indûment une très grande partie des informations provenant de son livre (…) ainsi qu’un certain nombre de photographies y figurant ».
Une «
autre maison d’édition dans le secteur de la numismatique, qui a publié également un ouvrage sur les monnaies françaises réédité tous les deux ans depuis 1973 », s’est, à son tour, indignée que l’ouvrage publié «
était contrefaisant de son propre ouvrage ».
Un jugement en date du 31 mars 2016, rendu par le tribunal de grande instance de Paris, a débouté sévèrement les demandeurs.
Une grande partie de leur action en justice reposait le droit des bases de données.
Rappelons en effet que la loi du 1
erjuillet 1998, insérée au Code de la propriété intellectuelle (CPI) dans un chapitre
ad hoc, a instauré un mécanisme de protection renforcé en faveur des producteurs de bases de données, à la suite de l’adoption d’une directive européenne du 11 mars 1996.
Auparavant, chaque éditeur de bases de données devait démontrer l’originalité de son produit pour accéder à un authentique droit de propriété littéraire et artistique.
La loi française de 1998 définit la base de données comme un «
recueil d’œuvres, de données ou d’autres éléments indépendants, disposés de manière systématique ou méthodique, et individuellement accessibles par des moyens électroniques ou par tout autre moyen ».
Le cas spécifique des bases de données
La grande innovation a consisté en l’instauration d’un droit nouveau, juridiquement distinct du droit d’auteur comme de la concurrence déloyale et des agissements parasitaires, destiné à protéger le producteur de la base contre l’appropriation par un tiers des résultats obtenus de l’investissement déployé pour collecter et rassembler le contenu de la base et éviter un usage abusif par un concurrent ou un utilisateur.
Les dispositions de l’article L. 342-1 du CPI instaurent un droit permettant d’interdire l’extraction «
par transfert permanent ou temporaire de la totalité ou d’une partie qualitativement ou quantitativement substantielle du contenu d’une base de données sur un autre support, par tout moyen et sous toute forme que ce soit ». L’article L. 342-1 prévoit également la faculté d’interdire «
la réutilisation, par la mise à disposition du public de la totalité ou d’une partie qualitativement ou quantitativement substantielle du contenu de la base, quelle qu’en soit la forme ».
Il existe la possibilité d’interdire les extractions ou réutilisations répétées et systématiques de parties qualitativement ou quantitativement non substantielles «
lorsque ces opérations excèdent manifestement les conditions d’utilisation normale » aux termes de l’article L. 342-2 du CPI.
C’est bien évidemment la notion de «
partie qualitativement ou quantitativement substantielle » du contenu de la base de données qui donne lieu à d’intéressantes tentatives jurisprudentielles de délimitation.
Le contenu protégé
Il faut encore souligner que seul le contenu de la base est protégé : les informations brutes en tant que telles ne souffrent toujours pas d’appropriation. Les commentateurs de la directive elle-même ont par ailleurs relevé que «
les logiciels utilisés pour concevoir ou faire fonctionner la base ne sont pas couverts par les droits qui portent sur la base, mais restent soumis à leur propre droit ».
De même, «
cette protection est indépendante et s’exerce sans préjudice de celles résultant du droit d’auteur ou d’un autre droit sur la base de données ou un de ses éléments constitutifs » selon l’article L. 341-1 du CPI.
Le titulaire des droits est le «
producteur » de la base, c’est-à-dire celui qui prend l’initiative et assume le risque d’effectuer l’investissement financier, matériel ou humain substantiel nécessaire à la constitution, à la vérification ou à la présentation du contenu d’une base de données » (article L. 341-1 du CPI). C’est donc «
l’investissement substantiel » qui constitue le critère de protection, par opposition aux critères classiques du droit de la propriété littéraire et artistique qui excluent toute référence à l’importance du travail ou de l’effort et s’attache au contraire à la créativité.
Il faut relever par ailleurs l’absence de dévolution automatique des droits de l’employé au profit de l’employeur. Les contrats de travail conclus par les producteurs de bases de données doivent donc immanquablement comporter une clause de cession des droits visant aussi bien la propriété littéraire et artistique proprement dite que le droit
sui generis.
Exceptions
Les «
actes nécessaires à l’accès au contenu d’une base de données électronique pour les besoins et dans les limites de l’utilisation prévue au contrat » ont rejoint les exceptions légales aux droits de propriété intellectuelle visées à l’article L. 122-5 du CPI.
De même, l’article L. 342-3 du code prévoit une véritable exception au droit
sui generisen autorisant «
l’extraction ou la réutilisation d’une partie non substantielle, appréciée de façon qualitative ou quantitative, du contenu de la base, par la personne qui y a licitement accès ». Le législateur a pris soin de préciser que: «
Toute clause contraire est nulle. »
Il existe une autre exception – qui ne semble pas d’ordre public puisque les clauses contraires ne sont pas prohibées – pour «
l’extraction à des fins privées d’une partie qualitativement ou quantitativement substantielle du contenu d’une base de données non électronique sous réserve du respect des droits d’auteur ou des droits voisins sur les œuvres ou éléments incorporés dans la base ».
Là encore, les exégèses jurisprudentielles vont bon train pour tenter de cerner la notion de «
partie qualitativement ou quantitativement substantielle ».
Limites
La directive avait envisagé la possibilité de mettre en place des exceptions telles que l’usage privé ou l’enseignement et la recherche scientifique (articles 9 et 61), ce que les rédacteurs des dispositions de droit interne n’ont pas voulu retenir.
Le législateur français est également resté muet pour ce qui concerne les attributs moraux de l’auteur de la base de données. Il faut donc croire que si celle-ci se révèle protégeable par le droit d’auteur, le droit moral s’applique en ses aspects les plus classiques (respect de l’œuvre, respect du nom, divulgation, retrait ou repentir). Le droit
sui generis, qui a vocation à s’appliquer cumulativement avec le droit d’auteur mais également à défaut de celui-ci, ne comporte aucune disposition de ce chef.
Ce droit dure quinze ans à compter du 1
erjanvier de l’année qui suit la date d’achèvement de la base de données. Cependant, le législateur a prévu que «
lorsqu’une base de données a fait l’objet d’une mise à la disposition du public avant l’expiration de la période prévue à l’alinéa précédent, les droits expirent quinze ans après le 1er janvier de l’année civile suivant celle de cette première mise à disposition ». Par surcroît, en présence d’un «
nouvel investissement substantiel », la protection expirera quinze ans après le 1
erjanvier de l’année civile suivant celle de ce nouvel investissement.
La notion d’investissement substantiel – et le flou qui la caractérise – ne manque pas là encore de susciter d’âpres discussions jurisprudentielles, dont l’enjeu est le prolongement d’une première durée de protection relativement brève.
Aux termes des dispositions transitoires, une application rétroactive est accordée aux bases de données confectionnées depuis le 1
erjanvier 1983. La protection est alors de quinze ans à compter du 1
erjanvier 1999.
Contrefaçon
L’article L. 332-4 du CPI a été révisé pour que les producteurs de bases de données puissent bénéficier de la procédure de saisie-contrefaçon, et notamment de saisie réelle.
Un article L. 343-4 du même code autorise également «
les constatations d’agents assermentés désignés par les organismes professionnels de producteurs ». Ces agents sont tout aussi classiquement «
agréés par le ministre chargé de la Culture dans les mêmes conditions que celles prévues pour les agents visés à l’article L. 331-2 ».
Le recours aux commissaires de police pour effectuer une saisie-description de la base de données contrefaisante, «
saisie-description qui peut se concrétiser par une copie », est également envisagé.
Reste que le plus difficile est de prouver que le concurrent a illicitement créé sa base de données. Il faut donc toujours recourir aux mêmes astuces pour démontrer la réalité d’emprunts, en particulier en procédant au repérage et à la comparaison des erreurs entre les deux bases.
Les sanctions pénales peuvent atteindre des années d’emprisonnement et des centaines de milliers d’euros d’amende (article L. 343-1 du CPI) et les personnes morales peuvent être déclarées responsables pénalement (article L. 343-2 du CPI). Les peines encourues par les personnes morales s’étendent de l’amende à l’interdiction de l’activité «
dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de laquelle l’infraction a été commise ».
En cas de récidive, les peines encourues sont portées au double (article L. 343-3 du CPI) et «
les coupables peuvent, en outre, être privés pour un temps qui n’excède pas cinq ans du droit d’élection et d’éligibilité pour les tribunaux de commerce, les chambres de commerce et d’industrie et les chambres de métiers, ainsi que pour les conseils de prud’hommes ».
Certains se sont émus que ces nouvelles dispositions aillent à l’encontre des principes qui régissent le droit français de la propriété intellectuelle et en particulier celui de «
la libre exploitation des éléments du domaine public, en particulier des “idées” ».
Deuxième partie