Avant l'arrivée de la photographie, tout l'effort de l'art consistait à imiter la nature et, bien sûr, sa plus belle production - l'être humain. La ressemblance physique est longtemps restée le critère numéro 1 de ce qui faisait un chef-d'œuvre. Aux XVIIe et XVIIIe siècles apparaît la mode des moulages, en particulier ceux des fraîchement trépassés. Quand une réplique est trop fidèle, s'insinue une question, sans rapport avec l'esthétique : quelle différence entre un corps mort et un vivant ? C'est lui et pas lui, je la reconnais et pourtant... Les traits de celle ou celui qui n'est plus fascinent, plus encore qu'une photo de jeunesse par quoi sont convoqués les souvenirs de ce que l'on fut. C'est le même magnétisme trouble qu'on éprouve devant un automate humanoïde. Là, ça ne bouge plus mais l'ombre de la mort nous remue - cette mort aux faciès si ressemblants aux chers disparus ou à nos contemporains qu'elle figera tout autant. Veuve, la mère de Marie part avec sa « Petite » en Suisse, où elle se place comme gouvernante auprès du Dr Curtius qui fabrique des sculptures anatomiques en cire mais également de célébrités de la cour de France, comme Mme du Barry, maîtresse de Louis XV. Un jour qu'il a besoin de renfort tant la demande est forte, la jeune Marie apprend le métier. Elle devient une sculptrice à succès. Sous la Terreur, Marie échappe de peu à l'échafaud, devenant bientôt la préposée au moulage des têtes de guillotinés. Quand la paix est signée avec l'Angleterre, devenue Mme Tussaud, elle expose outre-Manche ses effigies de victimes de la Révolution. Ses œuvres font florès, le musée de cire de Londres porte encore aujourd'hui son nom. Dans Petite, Edward Carey retrace ce destin incroyable. Pas en biographe mais en conteur. L'auteur et illustrateur britannique vivant aux États-Unis s'est fait connaître par sa trilogie « jeunesse », Les ferrailleurs (reprise au Livre de poche), l'histoire des locataires d'un château fait de rebuts, style Facteur Cheval, très « Dickens meets Tim Burton ». Si Carey s'adresse ici plus à un public d'adultes, c'est avec un cœur inquiet d'enfant. Nos angoisses n'ont pas d'âge. C'est Andersen ou les frères Grimm revisités par Kafka.
Petite est un roman au graphisme désuet des livres illustrés du XIXe siècle, où se déploie une écriture à la fois limpide et foisonnante de rebondissements picaresques, à l'instar des feuilletons victoriens. On tourne les pages tout en marquant des pauses, non pas par ennui mais comme attrapé par la main par les formidables dessins de Carey, et l'on reprend la lecture, enivré par le charme d'un style si singulier.
Petite Traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Jean-Luc Piningre
Le Cherche Midi
Tirage: 6 000 ex.
Prix: 23 € ; 576 p.
ISBN: 9782749163512