Avant-critique Roman

Pacte faustien. Un glissement de terrain. Un poids lourd précipité dans un ravin. Une ville coupée du monde. Les images choisies pour ouvrir un roman ne sont jamais anodines. Relire les premières lignes de Birnam Wood une fois la dernière page tournée fait naître un vertige, comme si le lecteur contemplait, face à l'abîme, l'étendue de la cupidité et de la corruption humaines. Nous sommes en Nouvelle-Zélande, dont les îles réputées pour leurs paysages grandioses et leur isolement ne sont pas pour autant épargnées par le bruit du monde. Deux camps idéologiquement opposés s'affrontent. D'un côté, le collectif de guérilla verte Birnam Wood, dont les membres cultivent des terres non exploitées dans le but, selon son initiatrice Mira Bunting, d'encourager « une transformation radicale, généralisée et durable de la société ». De l'autre, Robert Lemoine, un milliardaire collapsologue, propriétaire d'un domaine situé près de Thorndike - la fameuse ville coupée du monde à la suite du glissement de terrain. Alors qu'elle prospecte illégalement sur ses terres, Mira tombe nez à nez avec Lemoine. Il lui révèle vouloir y construire un bunker de luxe pour survivre à l'effondrement prochain. Elle lui vante le projet de Birnam Wood, dans lequel Lemoine décide, contre toute attente, d'investir. Mais l'accord scellé entre eux, espoir d'une réconciliation entre deux clans que tout oppose, a tout du pacte faustien.

Ce n'est pas à Goethe mais à Shakespeare que renvoie le titre du roman d'Eleanor Catton, plus jeune lauréate du Booker Prize pour Les luminaires en 2013. « Birnam Wood » provient du nom de la forêt qui « se met en marche » vers Dunsinane et annonce la chute de Macbeth. Un nom teinté d'une ironie un brin désespérée pour un collectif misant sur le progrès grâce à la mise en commun des forces et des ressources. Cette ironie parcourt le récit et tourne ses personnages en dérision, sans en faire des caricatures : si on a d'abord l'impression d'assister à un match hippies vs milliardaires, la complexité humaine, le double visage de Birnam Wood, où règnent une « censure morale étouffante » et une « camaraderie feinte », permettent de dépasser la dichotomie éculée du bien et du mal. Loin de la fable écologiste idéaliste, Birnam Wood s'impose comme un thriller psychologique et politique implacable, un grand roman contemporain se jouant de notre écoanxiété sans la délégitimer.

Eleanor Catton
Birnam Wood
Buchet Chastel
Tirage: 10 000 ex.
Prix: 25 € ; 650 p.
ISBN: 9782283037485

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