« Aux bien nés, la poésie, aux autres, l'âpreté du réel. » Nul lieu ne semble mieux illustrer l'adage que le village d'Ogliano, encerclé de montagnes si hautes qu'elles occultent le ciel. Libero Solimane, « fils d'Argentina Solimane et d'elle seule » est né dans ce massif de l'Argentu qu'il a chéri avant de le détester. Sa grand-mère y était morte en couches et son grand-père y avait usé « sa vie à surveiller un maigre troupeau de chèvres ». À Ogliano, vie et mort dansent une même sarabande : à l'enterrement du terrible Lenzani, dont le corps en putréfaction a été retrouvé « crâne enfoncé et mandibule arrachée », succède la fête d'entrée à l'université de Raffaele, l'héritier de la riche famille Delezio. Libero espère y entrevoir la jeune épouse du seigneur de la Villa rose, car « qui n'a pas connu Tessa Delezio ignore le visage de la beauté », « plus affolante que Simonetta Vespucci, la muse aux pieds desquels Botticelli demanda à être inhumé. » La découverte du corps sans vie d'« Herminia la folle » met néanmoins un terme aux festivités. Puis Raffaele est enlevé et Libero s'élance sur ses traces au péril de sa vie. Des sommets de l'Argentu aux tréfonds de la grotte des Fées, la traque se transforme en une quête initiatique révélant au jeune homme l'identité de son père et brisant des silences qui semblaient éternels.
Ogliano n'existe pas. Nés sous la plume d'Elena Piacentini, les lieux semblent pourtant étrangement familiers, tant la tragédie dont ils sont le décor résonne avec la part de bien et de mal que chacun porte en soi. En écho à l'Antigone de Sophocle, Les silences d'Ogliano explore l'injustice qui frappe tout nouveau-né, héritier involontaire d'une lignée maudite ou bénie des dieux. Au défilé des saisons s'oppose la permanence d'une nature millénaire, dont les paysages ont « englouti tant de bergers, de bandits et de carabiniers » que les villageois voient en eux une « nécropole ». Elena Piacentini vient du polar et l'atmosphère moite de mystères de son récit en témoigne, de même que les indices distillés au fil de ce roman d'aventures où rien n'est vrai mais où tout sonne pourtant terriblement juste. « L'œuvre de l'homme n'est pas détruite par la mort » augure dès les premières pages le prêtre d'Ogliano, et ses mots vibrent comme une énigme que tous les amoureux de fiction pure se délecteront à déchiffrer.
Les silences d'Ogliano
Actes Sud
Tirage: 4 000 ex.
Prix: 19,50 € ; 208 p.
ISBN: 9782330161255