Derrière la folie du « webtoon » et ses 72 millions d'utilisateurs mensuels, il y a avant tout Naver, un géant tech sud-coréen dont l'antenne française compte aujourd'hui une équipe d'une dizaine de personnes. Émilie Coudrat en est la responsable développement. Elle détaille le modèle et les étapes de l'expansion de ces BD sud-coréennes spécialement conçues pour le smartphone et dont le succès ne repose pas sur le papier.
Qu'est-ce qu'un « webtoon » ?
Avant toute chose, il faut avoir en tête que le mot « webtoon » est une marque lancée par Naver en 2004 pour nommer une BD créée nativement pour un format smartphone. Le terme s'est au fil du temps popularisé et est entré dans le langage commun mais de manière générale, on parle de webcomics et non de « webtoons ».
Comment cette popularité a-t-elle grandi au fil des années ?
Naver Webtoon est né en Corée du Sud, en 2004. Là-bas, c'est allé très vite car les Sud-Coréens ont une appétence naturelle pour les nouvelles technologies et les nouveaux usages. Webtoon s'est ensuite implanté aux États-Unis et, fin 2019, en France. Pour nous, il y avait une certaine facilité à s'approcher du marché français compte tenu de l'engouement historique du pays pour la BD et le manga. On s'est dit qu'on allait répondre à un besoin. Et, ça a marché : deux ans plus tard on compte deux millions d'utilisateurs par mois en France, ce qui est énorme !
Quelle est la prochaine étape dans le développement de Webtoon France ?
Quand on a lancé Webtoon en France, on a commencé à adapter des séries coréennes qui fonctionnaient bien. Aujourd'hui, on veut développer le productions françaises en allant chercher des auteurs. C'est essentiel si l'on veut parler de succès pour Naver Webtoon France.
Où en êtes-vous de cette expansion ?
On a aujourd'hui plus de 50 auteurs français et, sur 200 séries en ligne, une cinquantaine de titres français. Mais ce n'est pas suffisant. Il faut que les auteurs s'entraînent à ce nouveau format, à cette nouvelle manière de raconter des histoires car c'est très différent d'un manga ou d'une BD. L'intensité de travail est différente. Nos créateurs n'ont par exemple pas le temps de passer trois jours sur un décor, ils doivent publier un nouvel épisode toutes les semaines et doivent surtout capter l'attention du lecteur dans des rebondissements et du suspens.
Comment formez-vous ces nouveaux auteurs ?
Nous essayons de nouer des partenariats avec des écoles de création pour les inciter à orienter leurs étudiants sur cette nouvelle façon de raconter des histoires. D'ailleurs, il y a certaines écoles comme l'école Jean-Trubert ou l'EIMA (École internationale du manga et de l'animation) qui commencent à intégrer des filières et des cours sur le « webtoon » et sur la façon de le créer. Sur notre application nous avons également mis en place deux sections. Il y a d'un côté les « originals », ceux que l'on contractualise et paie, et de l'autre, « Webtoon Canvas », une plateforme pour les créateurs amateurs. Ce ne sont pas des auteurs rémunérés. En revanche, ça leur permet de tester leurs histoires, et surtout d'être repérés par nous. Sur cette section, nous organisons aussi des concours avec des prix qui se comptent en milliers d'euros et des publications à la clef. Aujourd'hui, nous affichons plus de 5 000 séries sur le « canvas » français.
Un système qui ressemble beaucoup au fonctionnement de Wattpad...
Tout à fait ! D'ailleurs, Naver l'a racheté l'année dernière pour 600 millions d'euros. Notre ambition est d'être une entreprise de divertissements qui trouve des histoires et les développe. Notre finalité avec un « webtoon » par exemple, n'est pas que les BD restent en ligne mais de faire sortir l'histoire de son format web pour qu'elle devienne une série Netflix, un film, un animé... Avec Wattpad, c'est pareil. C'est une plateforme qui nous permet de dénicher des histoires et de les transposer ensuite.
Sur le territoire français, un autre développement a trouvé sa place : l'adaptation papier de webcomics. Souhaitez-vous vous positionner sur ce marché en France ?
Le marché du livre papier en France a été la petite surprise à laquelle les Sud-Coréens ne s'attendaient pas. Aujourd'hui, l'édition papier de « webtoons » n'est pas un outil intégré à Naver Webtoon. Elle est externalisée avec des éditeurs français comme Hugo BD qui a publié Lore Olympus, Ki-oon avec Bâtard ou encore Kbooks pour True Beauty. Nos gestionnaires de droits situés au siège, à Séoul, reçoivent de nombreuses propositions d'éditeurs.
Sur votre plateforme, l'intégralité des épisodes est gratuite au bout d'un certain temps. Quel est votre modèle économique ?
Nous avons un business model très différent de nos concurrents. Si demain vous voulez lire des « webtoons » gratuitement sur notre site, vous le pourrez. En revanche, nous jouons sur l'impatience des lecteurs. S'il ne veut pas attendre et lire l'épisode tout de suite, il devra le débloquer en payant. Ce système s'appelle le « fast pass » et coûte en moyenne 50 centimes par épisode. Chez les autres éditeurs de webcomics français, il s'agit de modèles d'abonnements mensuels ou d'une jauge d'épisodes gratuits puis, une fois remplie, d'un système d'achat à l'épisode.
Comment les auteurs sont-ils rémunérés ?
Une partie de la rétribution est calculée en fonction du nombre d'utilisateurs qui vont lire le « webtoon » et qui vont payer le « fast pass ». L'autre partie est un contrat. Généralement, on signe avec un auteur pour une durée d'un an, ce qui correspond environ à une cinquantaine d'épisodes. À la fin de l'année, nous faisons un bilan et si la courbe de lecture a commencé à décroître, nous ne faisons pas de saison 2.
Quelles sont les ambitions de Naver Webtoon pour les années à venir ?
Notre ambition est de nous lancer sur toute l'Europe. Dans un premier temps avec l'Allemagne puis, élargir le territoire pour que notre bureau passe de Naver Webtoon France à Naver Webtoon Europe.