Livres Hebdo - L’autoédition relève-t-elle du contrat d’édition ?
Emmanuel Pierrat - Pas du tout. Le contrat d’édition est un acte juridique conclu entre un éditeur professionnel et un auteur, qui prévoit deux obligations : publier et diffuser. Or l’autoédition, par définition, se fait sans l’effort de vente de l’édition française. Je suis perplexe quant à la façon dont un tribunal apprécierait un engagement de diffusion de la part d’une plateforme numérique. Aujourd’hui, le marché est encore embryonnaire ou verrouillé avec des plateformes ne diffusant que sur leur site. La jurisprudence considère que toute commande émise par un point de vente doit être satisfaite. Le contrat d’édition - et il a intérêt à rester comme cela - peut difficilement s’appliquer à ce genre de phénomène éditorial. L’autoédition relève de la prestation de service. La loi prévoit un encadrement pour éviter que des auteurs n’aient l’illusion que leurs livres sont diffusés en librairie alors que ce n’est pas le cas.
L’essor de l’autoédition peut-il bousculer le droit d’auteur ?
Ça ne bouscule pas le droit d’auteur, mais le contrat d’édition. Le droit d’auteur est un grand ensemble de principes qui ont survécu à mille révolutions techniques et n’ont pas de raison de s’effondrer d’un coup. Dans un contrat, ils restent valables, s’appliquent très bien et n’ont pas de difficultés à exister. Cession exclusive ou partielle, pour certains supports… : toutes les formules sont possibles et imaginables dans les contrats. C’est la force du droit d’auteur depuis deux siècles de ne pas s’accrocher à un point technique.
Les éditeurs, s’ils se lancent dans l’autoédition, doivent-ils prendre des précautions juridiques ?
Ils ont intérêt à faire attention, surtout s’ils ont une diffusion habituelle. S’ils ouvrent un nouveau département, il faut border le plus possible les contrats pour éviter que les auteurs ne demandent à les requalifier en contrat d’édition. Car le droit d’auteur en France est un droit d’auteur, pas un droit d’éditeur. Les éditeurs savent que tous les contrats sont relus à leur encontre. S’ils veulent faire des passerelles comme cela se passe aux Etats-Unis, tout est imaginable mais s’articule longtemps à l’avance. Les éditeurs ne doivent pas faire croire qu’il y aura forcément exploitation classique derrière. Toute la difficulté est de prévoir cette exploitation sans la promettre.
Propos recueillis par C. A.