6 février > Roman Espagne

Chez les grands romanciers, en vertu d’une « politique des auteurs » bien comprise, il n’y a pas, il ne peut pas y avoir, de fonds de tiroirs. Ainsi de ces hagiographies tordues, ces Trois vies de saints d’Eduardo Mendoza, composé de trois histoires (une novela et deux nouvelles) faussement édifiantes, écrites à plusieurs dizaines d’années de distance l’une de l’autre. De quoi est-il question dans chacune d’entre elles ? De l’éternelle lutte à mort entre l’humain et le divin, c’est entendu, mais surtout d’une paradoxale allégresse romanesque parée des plus beaux habits de la simplicité. Ces fonds de tiroirs sont bien plutôt des fonds de miroirs par lesquels Mendoza ausculte son monde et son art.

Dans La baleine, le texte le plus ancien et le plus long de ce recueil (sans doute le plus fort aussi, résumant en quelques pages la nature dévote et violemment hypocrite du franquisme), dans la Barcelone des années 1950, un évêque latino-américain réside le temps d’un congrès eucharistique chez une pieuse et bourgeoise famille de la ville. Une révolution dans son pays natal l’empêchera de revenir chez lui et l’arrimera à cette famille, à ses membres les plus déclassés, parmi lesquels le narrateur, un jeune garçon sans qualités ni beaucoup d’illusions.

Dans La fin de Dubslav, un homme, fils d’un père yougoslave qu’il n’a jamais connu, réfugié dans un sauvage et désertique pays africain pour oublier le grave accident de santé qu’il vient de subir, apprend en même temps la mort de sa mère, brillante scientifique, et la distinction qu’elle vient de recevoir, un prix prestigieux qui aurait dû lui être remis à Madrid. Il décide, par bravade ou pour renouer les fils distendus de son histoire, de prendre sa place pour la cérémonie de remise du prix.

Dans Le malentendu, éblouissante satire des us et coutumes éditoriaux, un criminel est saisi en prison de la grâce de l’écriture et devient auteur de best-seller.

Dans chacune des histoires, Mendoza, parfaitement maître de ses moyens, s’amuse et mène son lecteur en bateau. La traversée, et d’abord celle des apparences, est magnifique.
O. M.

 

 

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