Avant-portrait > Alain Claude Sulzer

Quand on l’a découvert en France en 2008, grâce à Jacqueline Chambon, avec Un garçon parfait, Alain Claude Sulzer avait déjà 55 ans et presque quarante ans d’écriture derrière lui. Publié en Allemagne cinq ans plus tôt, ce roman à la distinction très Mittel-europa, prix Médicis étranger et prix Hermann-Hesse, n’était pas son premier mais, traduit dans une dizaine de langues, il lui a apporté une large reconnaissance. Il lui a aussi permis d’accomplir son rêve d’adolescence: vivre de sa plume.

Ses jeunes années, ce qu’il en reste dans sa mémoire, "l’univers minuscule d’un enfant né en 1953", en Suisse alémanique, à Riehen, une bourgade près de Bâle et non loin de la frontière allemande, l’écrivain les évoque dans son dernier livre, La jeunesse est un pays étranger. "Ce livre n’est ni un roman, ni une autobiographie. Il n’a ni début, ni fin, pas de début car je ne m’en souviens pas, pas de fin car je ne la connais pas. Il se compose de lacunes et de souvenirs, de non-dits et de dits, et aussi, je le précise, de choses passées sous silence", prévient-il à la fin de ce récit de formation en fragments, plein d’ironie, où l’on trouve en pièces éparses les thèmes qui nourriront ses livres: amours déviées, homosexualité réprouvée, secrets feutrés, exil, sentiment d’être étranger… "Mon moi est un puzzle", constate l’un des courts chapitres.

Sentiments refoulés

Ce sont les années 1960 dans une Suisse provinciale et corsetée. Une famille ordinaire? Pas tant que ça. Sa mère, infirmière, s’est mariée enceinte, abandonnée par un fiancé portugais, père biologique dont le fils ne saura jamais rien. Elle est surtout francophone et catholique. Originaire de Domdidier, en Romandie, elle vivra soixante-dix ans en Suisse germanophone et protestante sans jamais parler allemand. Le père, lui, se distingue par des goûts originaux et très affirmés en matière d’architecture et de décoration: Alain Claude Sulzer et ses deux frères grandissent ainsi dans une maison moderniste, au toit plat et aux moquettes noires. Sa jeunesse navigue entre ces deux espaces linguistiques et culturels, ponctuée d’épisodes fondateurs comme une fugue à Paris à 16 ans en train de nuit avec un copain, dont le roman Post-scriptum (2016) porte la trace.

Opiniâtre, Alain Claude Sulzer a attendu longtemps avant que ses histoires elliptiques, vibrantes de passions cachées et de sentiments refoulés, ne trouvent lecteur: en patientant, il a écrit avec succès des pièces radiophoniques dès l’âge de 18 ans, mais s’est essayé en vain au théâtre - ses pièces n’étaient pas jouées - et a essuyé des lettres de refus des grandes maisons d’édition allemandes auxquelles il avait adressé ses premiers romans. Grand mélomane, l’écrivain qui partage sa vie entre Bâle, Berlin et Vieux-Ferrette, un village en Alsace, est resté ce garçon entre deux, sur les bords, trop habitué au silence pour nourrir l’obsession de tout dire, acceptant avec flegme l’oubli. Amoureux "des lacunes". Véronique Rossignol

Alain Claude Sulzer, La jeunesse est un pays étranger, Jacqueline Chambon, traduit de l’allemand (suisse) par Johannes Honigmann, Prix: 21 euros, 224 p., sortie: 11 avril, ISBN: 978-2-330-09720-2

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