PANSER L'APRÈS

Comment redonner du sens au travail de bibliothécaire dans un tiers-lieu comme la Bib à l'heure où l'on doit respecter un mètre de distance entre chaque personne et où l'autre est vu comme une menace ?

C'est tout le débat cornélien qui agite notre bibliothèque en cette rentrée. Notre établissement a été conçu comme un espace de liberté : liberté des corps et des usages, liberté de s'agglutiner sur des canapés, liberté de jouer et de partager un café en feuilletant une revue en libre accès, liberté de grimper sur les gradins et de s'affaler sur des coussins, liberté de lire ou de ne pas lire, de flâner sans entrave. Que nous reste-t-il aujourd'hui de tout ça ? La Covid-19 nous a privés de notre essence.

C'est un retour en arrière amer pour la Bib ?

Nous avons transformé à nouveau notre établissement en bibliothèque traditionnelle, en limitant tout ce qui faisait le sel du séjour chez nous pour les publics moins captifs. On se retrouve avec un outil totalement inadapté, qu'il va falloir faire évoluer. Notre magnifique gradin par exemple ne sert plus à rien aujourd'hui. Il y a quelques mois, on voyait des gens dans tous les sens, couchés comme à la plage. C'était magnifique. Qu'est-ce qu'on en fait maintenant ? On se retrouve face à la nécessité de redéfinir complètement le rôle social de notre bibliothèque et nous sommes très embêtés car nous n'avons ni les mobiliers, ni les espaces ni les outils qui nous permettraient non pas de refaire « bibliothèque », car ça, on sait faire, mais d'être ce tiers-lieu que nous avons vocation à être. Maintenant nous devons inventer autre chose en gardant les valeurs qui nous animent : amicale, généreuse, facile, pour tous, inventive.

Quel plan de reprise de l'activité prévoyez-vous pour les mois à venir ?

Nous sommes encore en pleine réflexion à ce sujet. Ce que l'on sait c'est que l'on se tromperait à vouloir continuer à travailler de la même façon qu'avant. Nous avons des pistes mais on est quand même plongés dans la perplexité. Le temps presse, il faut agir rapidement mais paradoxalement sans se précipiter. Il nous faut travailler sur du temps moyen et du temps long. Garder le lien tout en respectant une certaine distanciation physique sera difficile dans notre bibliothèque car les espaces ont été pensés pour favoriser la proximité. Nous réfléchissons aux façons de remettre en service les postes Opac, les automates, etc. Nous allons reprendre nos premières animations compatibles avec la Covid, principalement en extérieur et en petits groupes. Fini les matchs de foot diffusés sur le gradin avec 300 spectateurs, ou les milliers de visiteurs du Livrodrome : on doit continuer à penser comme un grand établissement mais à petite échelle. L'équation qui se présente à nous aujourd'hui est simple et pourtant si complexe : nous devons trouver du palliatif, inventer des activités chaleureuses sans contact humain. Il faudra panser des blessures sans se toucher.

Selon vous, quel rôle les bibliothèques peuvent-elles jouer dans cette crise sanitaire ?

Nous les bibliothécaires nous avons une vraie responsabilité sociale. Par exemple, en tant que mère et professionnelle de service public, je n'autoriserai pas mes enfants à aller dans notre bibliothèque avec l'image de ce qu'elle était avant : un vrai bouillon de culture et de vie. Alors pour récupérer une partie de notre public - je pense notamment aux familles -, il va nous falloir beaucoup rassurer. Heureusement, nous avons à présent des directives claires au niveau de la profession. Cela nous aidera à penser la suite. La Covid ce n'est plus une question de semaines ou de mois mais bien d'années. Des mutations sociétales profondes s'annoncent. Les modèles d'être ensemble vont changer et nous devons être à l'écoute des tendances qui vont émerger pour coller le plus possible à ces évolutions de la société. Ce qui est certain, c'est que notre prochain projet de service sera articulé autour de deux sources : la dernière étude des pratiques culturelles des Français du ministère de la Culture et les leçons tirées du cataclysme de la Covid-19.

21.09 2020

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