Avec le duo Giacometti et Ravenne, le lecteur n'a guère le choix. Il adhère ou non à leurs thrillers ésotériques où le macabre côtoie à la fois la petite et la grande Histoire. Nous adhérons, parce que ce qui pourrait n'apparaître qu'une histoire fondée sur des procédés sans cesse renouvelée est en fait infiniment plus subtil que cela, faite à la fois d'un goût débridé pour une narration en liberté, mais aussi de l'érudition d'outsiders des deux auteurs, de leur talent à mélanger les genres et à en casser les codes.

Après une trilogie historique sur fond de Seconde Guerre mondiale, les deux compères reviennent avec Marcas à des considérations plus contemporaines (quoique...) en remettant sur le devant de la scène leur héros fétiche, Antoine Marcas, flic et franc-maçon, plus incertain et désabusé que jamais, mais aussi père d'un fils black bloc. Il est ici question d'un très étrange cinquième rituel, voire d'un cinquième élément après l'air, l'eau, le feu et la terre, dont le secret se transmettrait depuis le général de Gaulle de Président en Président. Soit, après tout pourquoi pas ? Sauf que l'assassinat d'un frère, dont l'honnêteté paraît douteuse et dont la disparition n'est guère regrettée par ses comparses au sein même de sa grande Loge, va déclencher un phénomène de réactions en chaîne dont nul ne peut prévoir l'ampleur. Marcas va se retrouver pris dans ce cyclone né lorsque la Russie (anecdote authentique) a accepté de rendre les archives de la franc-maçonnerie, qui avaient été volées par les nazis, aux principaux intéressés, en gardant peut-être par-devers elle différents documents...

En fait, on ne résume pas un tel livre. On le lit. Au cœur de la nuit sans se résoudre à en interrompre la lecture. On le lit pour ce qu'il est, un grand roman noir et d'aventures, mais aussi pour ce qu'il peut être : un récit politique et moral qui vaut tous les documents plus ou moins historiques du moment, auxquels il substitue la majesté étrange d'une fiction qui ne s'avoue jamais vraiment comme telle. Une fois de plus, Giacometti et Ravenne ont réussi leur coup : faire passer la littérature, la vraie, pour une séance d'hypnose. À ce prix-là, c'est donné.