Encore plus foisonnante que la rentrée littéraire, l’édition d’essais et documents s’emballe aussi entre août et septembre, à un tel niveau qu’il serait impossible d’être exhaustif, d’autant que les frontières du genre sont incertaines. L’an dernier, entre le règlement de comptes de Valérie Trierweiler, record de ventes toutes catégories à plus de 600 000 exemplaires (Les Arènes), et la noire diatribe d’Eric Zemmour, qui a dépassé les 330 000 ventes (Albin Michel), ou encore l’imaginaire portrait d’une femme parfaite en connasse (près de 550 000 exemplaires vendus, J’ai lu), ce rayon a pu faire jeu égal avec les best-sellers de la littérature, grâce à des succès encore plus imprévisibles. Nous avons retenu environ 278 titres, parmi les principaux thèmes traités dans la production de ces trois mois, et qui seront aussi dans l’actualité de l’automne.
Changement de climat
Le plus important de la fin de l’année sera assurément la 21e Conférence des parties de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques de 2015, selon sa dénomination officielle, ou COP21, selon son acronyme, ou encore Paris 2015 pour les initiés. Programmée du 30 novembre au 11 décembre au Bourget, elle est supposée aboutir à un engagement général des pays participants sur l’objectif de maintenir le réchauffement mondial à moins de deux degrés. L’écologie est de toute façon toujours un sujet important, traité en toutes saisons, mais l’événement crée un appel d’air que les éditeurs ont bien anticipé, avec plus d’une trentaine de titres, parmi lesquels on peut évoquer Atlas du climat : face aux défis du réchauffement de Gilles Luneau et François-Marie Bréon (Autrement) qui plantent le décor. Fabrice Flipo, Corinne Morel-Darleux et Christian Pilichowski résument le rapport de force d’une question : L’écologie, combien de division ? (Ed du Croquant).
Le pape, qui avait fait l’objet de cette interrogation dans un autre contexte, pourrait prouver son poids stratégique dans ce combat avec sa récente prise de position publiée dans une version commentée chez Parole et silence (Encyclique sur l’écologie : débats, réactions, présentation). L’immobilisme et le déni qui ont prévalu jusqu’à maintenant conduisent au désastre, alerte Nicolas Hulot qui publiera Appel pour le climat (Les Liens qui libèrent). Noël Mamère, député-maire de Bègles et figure historique de l’écologie en France, proclame : Changeons le système, pas le climat (Flammarion), tandis qu’Attac prône un mouvement international pour la justice climatique dans Réchauffement climatique : une lutte pour la vie (Les Liens qui libèrent). François de Rugy, figure montante du mouvement, sur une ligne de compromis pragmatique propose Ecologie : sortir de l’impasse (L’Archipel). Le philosophe Bruno Latour réunit huit conférences sur l’esprit des lois de la nature dans Face à Gaïa (La Découverte). La librairie Vuibert traduit le dernier livre d’Elizabeth Kolbert, journaliste américaine spécialiste du sujet et distinguée du prix Pulitzer pour son constat désespéré avec La 6e extinction : comment l’homme détruit la vie. Bruno Lamour exige un Stop au dérèglement climatique (L’Atelier). Et le réchauffement serait même néfaste pour une production qui vit pourtant du soleil - Menaces sur le vin : le défi du changement climatique - s’alarment Valéry Laramée de Tannenberg et Yves Leers (Buchet-Chastel). Avec l’ambition de rendre le sujet accessible aux plus jeunes, les éditions Eyrolles expliquent Le changement climatique en BD ! (Yoram Bauman).
Pédagogie et pédagogues
La rentrée scolaire est un rendez-vous rituel de l’édition en septembre. La réforme de l’école primaire et du collège ne suscite pourtant pas de titre traitant spécifiquement de cette réorganisation. Sa mise en œuvre la plus concrète ne démarrera qu’en 2016 avec l’application des nouveaux programmes, au cœur d’intenses polémiques en mai lorsqu’ils ont été connus. Toujours productif, le spécialiste des sciences de l’éducation Philippe Meirieu occupera le créneau avec deux titres (Comment aider nos enfants à réussir, chez Bayard, et C’est quoi apprendre ?, aux éditions de l’Aube). Son œuvre fait l’objet d’un recueil d’études (Où vont les pédagogues ? Regards et perspectives à partir des travaux de Philippe Meirieu, ESF éditeur). Peter Gumbel s’est intéressé aux pédagogies alternatives, ou carrément opposées au système (Ces écoles pas comme les autres : enquête sur les dissidents de l’éducation, La Librairie Vuibert).
Les éditeurs donnent surtout la parole aux enseignants, avec une dizaine de témoignages publiés, dont notamment 50 nuances de craie : chroniques saignantes d’une enseignante (Karine Degunst, La Boîte à Pandore) ; A l’école des cancres : coup de gueule d’un instituteur (Jean Tévélis, City) ; Vis ma vie d’instit : les 1 001 histoires de ma classe (Lucien Marboeuf, Fayard) ; Je ne capitule pas : après les attentats de Charlie Hebdo : à quoi ça sert un prof ? (M. S. Lamoureux, Don Quichotte) ; Les abandonnés de la République (Marie-Christine Culioli, Flammarion) ; Je veux faire battre le cœur de l’école (Albéric de Serrant, avec Emilie Refait, Lattès) ; Prof jusqu’au bout des ongles (Julie Van Rechem, Stock). Lola Gazoumaud livre son expérience d’ancienne (bonne) élève dans Longtemps, je me suis ennuyée à l’école (Max Milo) et Marie Bolda Font décrit le système éducatif vu de sa position de mère d’un enfant dyslexique (Les 12 collèges d’Hercule, Mareuil). François Dubet et Marie Duru-Bellat veulent tout refaire dans Dix propositions pour changer d’école (Seuil), de même qu’Henriette Zoughebi, vice-présidente de la région Ile-de-France, chargée des lycées, qui prend Le parti pris des jeunes : réinventer l’éducation (L’Atelier).
De gauche à droite
Côté politique, les élections régionales programmées les 6 et 13 décembre prochains intéressent peu d’éditeurs, alors que ce seront les premières après la reconfiguration de la France en 14 super régions. Le sujet, à la charnière de l’organisation territoriale de la vie politique et de sa réglementation, représente un vrai défi. Seul Atlande s’y risque sur un ton décalé en publiant des Régions à la découpe, imaginées par Pascal Orcier. Cécile Duflot, députée EELV et ancienne ministre de l’Egalité des territoires et du Logement, s’y aventure aussi avec Sécession : manifeste pour l’égalité des territoires (Les Petits Matins). Ses collègues en politique sont plus classiques, ou prudents, dans les sujets abordés.
A droite, la préparation des primaires pour l’investiture du candidat de l’opposition aux présidentielles de 2017 passe aussi par le livre, supposé durable en attendant l’échéance (20 et 27 novembre 2016) déjà très anticipée par ceux qui ne pensent qu’à ça. Nicolas Sarkozy, président des Républicains, signe pour le moment une préface, celle de La France juste de Denis Fasquelle (Fayard). Du haut de son expérience des manœuvres de la politique qu’il parfage dans un livre posthume, Charles Pasqua propose un Petit manuel de survie pour la droite : les primaires à la française, avec Pierre Monzani (Fayard). Alain Juppé sort le premier d’une série de quatre ouvrages programmatiques, celui-ci consacré à L’éducation, la mère des réformes (JC Lattès). François Fillon prépare le sien chez Albin Michel. Bien que tous ceux qui se considèrent de droite soient invités à concourir aux primaires, le député souverainiste Nicolas Dupont-Aignan a fait savoir qu’il n’y participerait pas, mais veut quand même se faire entendre : Honte à ceux qui se taisent, et à ceux qui n’agissent pas, clame-t-il chez Fayard. Philippe de Villiers, également souverainiste, un temps allié du précédent, juge que Le moment est venu de dire ce que j’ai vu (Albin Michel).
A gauche, c’est plus calme. Jean-Christophe Cambadélis, premier secrétaire du PS, éprouve le besoin de rappeler que, A gauche, les valeurs décident de tout (Plon). Les analystes et portraitistes de la vie politique sont plus prolixes. Valeur montante, le Premier ministre comptera deux biographies de plus : Nouvelle Valls ! (Cyrille Eldin, L’Aube) et Manuel Valls : seul contre la gauche la plus bête du monde (Mohamed Sifaoui, Flammarion). Valeur effondrée, le président de la République s’attire deux bilans en guise de faire-part : Les naufragés (Françoise Fressoz, Albin Michel), Et François Hollande enterra le socialisme (Francis Brochet, L’Archipel). Le Président, donné comme candidat à sa succession, signe aussi la préface d’un ouvrage collectif au titre de programme : Le moteur du changement : par le dialogue social et pour un avenir solidaire (Fondation Jean-Jaurès).
Jean-François Kahn dénonce L’ineffaçable trahison (Plon) dont la gauche de gouvernement s’est rendue coupable, et Patrick Savidan se demande, en connaissant la réponse : Voulons-nous vraiment l’égalité ? (Albin Michel). Bernard Spitz explique que dans la France des baby-boomers vieillissants, On achève bien les jeunes (Grasset). Le politologue Pierre Rosanvallon y voit un déficit démocratique et propose des solutions dans Le bon gouvernement (Seuil), ce qui paraît très utopique étant donné l’expérience dont témoignent les journalistes Renaud Dély et Henri Vernet dans L’hyperviolence en politique (Calmann-Lévy). L’économiste Pierre Larrouturou fait aussi un constat accablé, mais pas désespéré dans Vivre comme deux frères ou mourir comme des imbéciles (Fayard). Les deux sociologues Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot mêlent les enjeux politiques et les questions économiques dans Tentative d’évasion fiscale (Zones) en allant voir comment l’on extrade les petites et les grandes fortunes.
La faute à la crise
En ces temps de grands désordres, l’économie expliquée simplement reste une valeur sûre de l’édition d’essais, surtout lorsque c’est le désormais célèbre ministre grec Yanis Varoufakis qui prend la plume pour affirmer qu’Un autre monde est possible (Flammarion). L’ex-candidat à l’élection présidentielle, Olivier Besancenot, dirigeant du NPA, démontre quant à lui Le véritable coût du capital (Autrement). Bruno Gaccio vulgarise dans Mais non Madame Martin, c’est pas compliqué l’économie aux Liens qui libèrent. Délaissant la recherche des fauteurs de crise, l’économiste Daniel Cohen imagine les tensions d’une économie sans croissance dans Le monde est clos et le désir infini (Albin Michel), tandis que le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz défend dans La grande fracture (Les Liens qui libèrent) l’idée que notre choix ne doit pas se faire entre la croissance et l’équité. A la recherche de solutions, les membres du Positive economy forum luttent contre la sinistrose dans P+sitive book, cap sur 2030 : pour un monde positif (Flammarion), préfacé par Jacques Attali, qui se retient d’être affirmatif dans Peut-on prévoir l’avenir ?, son livre de rentrée chez Fayard. Dans un dialogue avec le philosophe Luc Ferry, il donne aussi la recette de la sérénité dans Sept façons d’être heureux (XO).
recette mérite assurément d’être mieux connue vu l’attrait exercé par l’Etat islamique et les combats en Syrie sur une frange de la population française. Le phénomène suscite de nombreux témoignages, qui peuvent s’élargir à l’analyse du terrorisme après la vague des publications ayant suivi les attentats contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher. Le psychiatre Daniel Oppenheim signe une Lettre à un adolescent sur le terrorisme (Bayard), tandis que l’anthropologue Dounia Bouzar rapporte son expérience de l’accompagnement d’adolescents à désintoxiquer idéologiquement (La vie après Daesh, L’Atelier). Valérie de Boisrolin raconte la fugue de sa fille en Syrie avec un djihadiste dans Embrigadée (Presses de la Cité), tandis que Célia Mercier écrit l’histoire d’Astar, une jeune femme yézidie enlevée par l’Etat islamique en Irak (Ils nous traitent comme des bêtes : une femme victime de Daesh témoigne, Flammarion). Jean-Paul Ney explique Pourquoi ils font le Djihad : enquête sur la génération Merah (Rocher). Quelques titres tentent de lutter contre les amalgames, dont France-Islam, le choc des préjugés : notre histoire des croisades à nos jours (Malik Bezouh, Plon) ou encore Ma vie en Islam du philosophe et historien Souleymane Bachir Diagne (Philippe Rey).