Avant-portrait

Avec l’entrée dans la maturité, dans ce moment où l’on est confronté à de nouvelles responsabilités vis-à-vis de parents devenus très vieux et d’enfants encore petits, il a "osé". Ainsi Sergi Pàmies commente-t-il l’orientation plus ouvertement autobiographique qu’ont prise ses livres ces dernières années. Depuis la publication en français d’Aux confins du fricandeau en 1988 chez Jacqueline Chambon, éditrice à qui il est resté fidèle depuis, l’écrivain catalan nous a régalés de ses nouvelles graves et désinvoltes, parfois légèrement fantastiques, qui passent leur mélancolie en contrebande, de ses "histoires tristes qu’on peut lire avec le sourire" et dans lesquelles il se plaît à mélanger "un profond pessimisme avec un grand vitalisme", comme il l’expliquait en 2007 à la sortie du malicieusement nommé Le dernier livre de Sergi Pàmies.

Si le clivage entre réalité et fiction continue de ne pas avoir grand sens pour lui, Sergi Pàmies explique donc qu’il lui a fallu approcher de la cinquantaine - il vient d’avoir 54 ans - pour dépasser ses préjugés vis-à-vis de la littérature autobiographique. Il observe que bien que ne l’ayant pas prémédité de manière consciente, Chansons d’amour et de pluie partage sous cet angle "une unité invisible" avec les deux recueils précédents : Si tu manges un citron sans faire de grimaces (2008) et La bicyclette statique (2011). La mort des parents a été une étape déterminante dans ce processus qui ressemble à une prise d’autonomie. Car il faut préciser que Sergi Pàmies est le fils de deux héros de la lutte antifranquiste : le père, Gregorio Lopez Raimundo, grande figure politique, est décédé en 2007, et la mère, Teresa Pàmies, écrivaine, féministe, est morte en 2012 à 92 ans. Né en France, l’écrivain, qui a passé les onze premières années de son enfance à Gennevilliers, n’a appris le catalan qu’à 11 ans, quand ses parents, exilés, sont rentrés en 1971 à Barcelone.

"J’ai toujours écrit des choses qui m’arrivaient, mais elles étaient très cachées. Peut-être y avait-il entre ma mère, qui a écrit près de 45 livres sur sa vie, et moi une sorte de pacte non déclaré : à elle l’autobiographie, à moi la fiction." Cette mère est plus présente qu’elle n’a jamais été, dans ce dernier recueil, peut-être le plus émouvant à ce jour, alors qu’il ne cède pourtant à aucun sentimentalisme. Une nouvelle fois, Sergi Pàmies épate par sa capacité à ramasser en quelques pages des expériences minuscules et décisives : les angoisses d’un père attendant sa fille de 16 ans à la sortie d’une boîte de nuit, le souvenir d’une rupture amoureuse sur une note de restaurant, les signes de la sénilité dans le tricotage d’une écharpe ou les accès tragicomiques de paranoïa de l’écrivain au cours d’un dîner à Brooklyn chez Paul Auster…

Journaliste sportif.

La paternité a aussi eu une grande importance sur l’évolution de son écriture. La naissance de ses enfants en 1996 - des jumeaux, "une bombe atomique" - l’a fait privilégier des formes courtes, lui qui avait publié trois romans au début des années 1990. "Il est très difficile d’avoir des enfants et d’écrire des romans. Le roman est très possessif, il est monogame, jaloux. La nouvelle est, elle, plus libérale", explique-t-il.

Pour cet écrivain dont la petite histoire rapporte qu’il a découvert l’écriture au service militaire en jouant les Cyrano pour ses camarades, écrire est aussi traduire. Jean-Philippe Toussaint, Daniel Pennac, Frédéric Beigbeder… ont trouvé leurs lecteurs catalans grâce à lui, même si, depuis dix ans, il ne traduit plus que le "livre annuel d’Amélie" [Nothomb]. Et il assure aussi, depuis quelques titres, la traduction en espagnol de ses propres livres, en essayant de "résister à la tentation de tout changer".

La signature Pàmies, c’est enfin celle apposée sur les chroniques qu’il écrit dans les journaux, El País pendant quatorze ans, le quotidien catalan La Vanguardia depuis 2007. Le sport et le football en particulier lui ont valu d’être récompensé en décembre dernier par le 10e prix international du journalisme Manuel-Vázquez-Montalbán, dans la catégorie journalisme sportif. Une reconnaissance qui le touche, avoue-t-il, puisque c’est en remplaçant Montalbán qui avait trop de travail qu’il a forgé ses premières armes dans la chronique sportive. Le jury, qui avait notamment distingué les années précédentes Eduardo Galeano et Nick Hornby, a salué l’exercice d’un journalisme "profond, critique et transversal". L’hommage vaut pour l’ensemble des productions signées Pàmies. Véronique Rossignol

Chansons d’amour et de pluie de Sergi Pàmies, traduit du catalan par Edmond Raillard, éditions Jacqueline Chambon, ISBN : 978-2-330-03020-9, 16,50 euros. Sortie le 5 mars.

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