Edition

Faits divers : la nouvelle voix du crime (1/3)

Robert Downey Jr et Jake Gyllenhaal dans Zodiac - Photo DR

Faits divers : la nouvelle voix du crime (1/3)

En mars 2022, une quinzaine de livres axés sur un fait divers sont sortis. Un phénomène marqué par une nouvelle garde de journalistes-auteurs à l'écriture plus personnelle.

J’achète l’article 1.5 €

Par Pauline Gabinari
Créé le 24.03.2022 à 19h00

Il y a quelques mois, Ronan Folgoas quitte brièvement la rédaction du Parisien pour se consacrer à son livre Le mystère Jubillar. Primo-romancier, il suit sagement les conseils de son éditeur StudioFact et entre dans une écriture plus personnelle, teintée de « je » et d’émotions. « En rejoignant ma voiture […] je suis assailli par des sentiments contradictoires. Cédric Jubillar vient de me montrer un visage sympathique, sociable et même attachant, si j’ose l’écrire », peut-on lire.

Loin du scandaleux et des révélations spectaculaires, le fait-diversier trace un sillon psychologique et intime dans une affaire à forte portée médiatique. Comme lui, c’est toute une nouvelle garde de journalistes-auteurs qui réinventent l’écriture du « true crime ». Une littérature du réel plus sensible et personnelle.

Transfuge de genre

« Déjà au moyen âge des crieurs mettaient en scène des faits divers sur la place publique », rappelle Lucie Jouvet Legrand, docteure en sociologie et anthropologie. Si ce genre a toujours plu, il n’a pourtant pas toujours eu la cote en littérature générale, souvent cantonné à des titres dits « de gare ». « Les faits divers ont toujours été l’enfant malade du journalisme mais pas des lecteurs », résume le chroniqueur judiciaire, Jacques Pradel.

En 2006 chez Grasset, la création de la collection « Ceci n’est pas un fait divers » par Jérôme Béglé redonne ses lettres de noblesse au genre en l'installant en littérature générale. Une fois la brèche ouverte, de nombreuses maisons suivent : Le Seuil (Le grêlé, le tueur était un flic, Patricia Tourancheau), Gallimard Folio (Omar : la construction d’un coupable, Jean-Marie Rouart) ou encore Philippe Rey (Une déchirure dans le ciel, Jeanine Cummins). « Ce changement de catégorie a donné un petit effet intello et a déculpabilisé les lecteurs », commente la directrice des éditions Robert Laffont, Sophie Charnavel.

Un souffle de vie

Pour la chercheuse Lucie Jouvet Legrand, on peut comprendre ce transfuge dans l’évolution du traitement judiciaire. « Depuis quelques années, la parole est davantage donnée aux victimes », estime-t-elle. Cette évolution renforcerait la place accordée à l’individu, amenant plus facilement l’acte littéraire : « Il ne s’agit plus de retranscrire les moments clef des échanges mais d’axer sa compréhension sur le vécu de chacun ».

Pour les affaires judiciaires anciennes, le numérique – et son accès simplifié aux archives - supplée au procès. « Les victimes peuvent désormais laisser des traces », précise la chercheuse membre d’un prix dédié à la criminologie. Un progrès technologique sur lequel le journaliste Michel Moatti s’est appuyé durant l’écriture de son roman Retour à Whitechapel (Hervé Chopin). « Les seules photos des victimes que je possédais étaient celles de la morgue. J’ai donc décidé de faire des recherches pour leur redonner une dimension humaine », raconte-t-il.

Jusqu’à la fiction

Ainsi serait née une autre manière de raconter les faits divers portée par une génération de journalistes-auteurs à l’écriture plus littéraire. « On a vu émerger une nouvelle tribu dans la presse, plus impliquée personnellement dans les affaires et avec un grand talent littéraire », dit Jacques Pradel égrenant les noms des plus connus : Philippe Jaenada, Patricia Tourancheau, Florence Aubenas… « Aubenas a donné au genre ses lettres de noblesses », abonde Ronan Folgoas qui n’a pas hésité à s’incarner, comme la journaliste du Monde, dans son roman Le mystère Jubillar. « C’est un livre-enquête mais aussi le fruit de ma sensibilité », explique-t-il.

De son côté, Michel Moatti est allé plus loin dans la démarche, créant un récit fictionnel à partir de l’affaire Maëlys en 2017. « J’ai voulu faire de ce fait divers quelque chose de très écrit, aux antipodes du gore, du brutal et de l’impudique », explique l’auteur de Rapport sur Nordahl L. paru le 17 mars chez Hervé Chopin. Un texte qualifié d’exofiction pour lequel l’auteur n’a pas hésité à réécrire les pensées du tueur « Quand ils ont sorti les os, il pensait à autre chose […] Faut pas qu’ils jouent trop aux cons, à me faire lever tôt, non plus. Et à me menacer de me remettre avec toutes ces racailles et leurs lames à la con », invente l’écrivain.

Les dernières
actualités